Le point sur le captage-stockage du CO2

Publié le 18.11.2019
Lycée

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Florence Delprat-Jannaud, Responsable de programmes, IFPEN

Florence Delprat-Jannaud

Responsable du Programme "Captage et Stockage du CO2" à l’IFPEN
"Pour atteindre la neutralité carbone à la moitié de ce siècle, il n’y a pas le choix : il faut utiliser tous les moyens possibles."

Pour gagner la bataille climatique, il faut utiliser tous les moyens techniques

Le maintien du sous la barre des 2°C (voire 1,5°C) d’ici la fin du siècle suppose une série d’actions complémentaires. Le CSCV (captage, stockage et valorisation du CO2) – CCUS en anglais- est l’un des outils pour parvenir à cet objectif. L’analyse de Florence Delprat-Jannaud, Responsable du Programme "Captage et Stockage du CO2" à l’IFPEN.

 

Qu’est-ce que la neutralité carbone ?

Le succès de l’action internationale contre le réchauffement climatique suppose de maîtriser les émissions des gaz à générées par les activités humaines, au premier rang desquelles le CO2, issu des fumées industrielles et de la production d’énergie. Cette maîtrise passe d’abord par la « neutralité carbone ».

Rappelons en quelques mots ce que cela signifie. Il s’agit de l’équilibre entre les quantités de émises dans l’atmosphère (production d’énergie, transports, habitat, procédés industriels et agricoles, changement d’utilisation des terres) et celles absorbées par la planète, notamment grâce aux « puits » de carbone que constituent les végétaux, les sols, les océans.

Pour réaliser cet équilibre, il y a deux approches possibles, qu’il convient de ne pas opposer :

- réduire les émissions, en limitant l’usage des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables, en améliorant l’ des usines et des exploitations agricoles ;

- accroître les capacités d’absorption de la planète, en limitant la déforestation ou les pollutions marines, ou, demain, en stockant le CO2 dans le sous-sol après une intervention humaine.

 

Les divers moyens d’action

Pour atteindre la neutralité carbone à la moitié de ce siècle, il n’y a pas le choix : il faut utiliser tous les moyens possibles. Opposer les moyens entre eux, bloquer l’un sous le prétexte qu’il serait moins efficace que d’autres, va à l’encontre de l’objectif de limitation du réchauffement climatique.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’appuyant sur les travaux du GIEC, a défini des scénarios visant à limiter en 2100 ce réchauffement à 2°C ou à 1,5°C. Ils prennent en compte toutes les solutions à notre disposition.

Pour le scénario à 2°C, il faudrait avoir fait dès 2050 les 4/5 du chemin vers la neutralité carbone. L’efficacité énergétique, qui permet d’économiser l’énergie dans la vie quotidienne et dans les industries, peut assurer près de 42 % de l’effort, le passage aux énergies renouvelables 34 % et le maintien du nucléaire 6%. La contribution du captage et stockage du CO2 interviendrait pour un chiffre significatif, 7 à 10 %. Si l’on vise une limitation de l’augmentation de la température moyenne du globe à 1,5°C en 2050, la contribution du CSCV devrait passer à 32 %. Dans tous les cas, sans le CSVC, les objectifs climatiques sont hors d’atteinte.

Le CSCV n’est qu’une des solutions mais qui présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre plus rapidement que d’autres solutions : il ne nécessite ni de remplacer entièrement des installations industrielles, ni de faire évoluer l’ensemble d’un réseau de distribution d’énergie. Bien sûr, pour que cette technique puisse avoir un effet sur le climat, il faut être capable de la déployer à une très grande échelle.

 

La nécessité de captages massifs de CO2

Aujourd’hui, il y a une vingtaine d’installations de tailles notables qui permettent de stocker environ 37 millions de tonnes de CO2 par an. Pour atteindre les objectifs climatiques, il faudrait être en mesure de stocker en 2050 environ 5 gigatonnes. Il faut donc passer de 37 à 5 000 millions de tonnes ! On n’est pas dans le même ordre de grandeur. Cela implique des financements considérables.

Les recherches en cours dans le monde visent d’ailleurs surtout à mettre au point des processus qui réduisent les coûts, notamment pour la phase de captage. C’est l’étape la plus onéreuse, puisqu’elle peut représenter jusqu’à 70 % du coût total.

Le captage concerne aujourd’hui les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, à savoir la sidérurgie, les cimenteries, les centrales thermiques. C’est encore plus complexe et coûteux pour les petits émetteurs, où le CO2 est plus dilué dans les fumées.

Le problème pour assurer le financement de telles opérations massives est que le prix de la tonne de carbone est trop faible pour enclencher un mécanisme « pollueur = payeur ». On ne donne pas de valeur à l’ des émissions de gaz à effet de serre, et donc mettre le CO2 dans le sous-sol ne rapporte rien, en l’état actuel, à ceux qui le font.

D’autre part, il faut réintégrer le captage-stockage-valorisation du CO2 dans le cycle de vie des produits et évaluer, non seulement en termes économiques mais aussi en termes d’impact environnemental de ces produits.

C’est donc une approche qui concerne toutes les filières industrielles et il y a beaucoup d’innovations à introduire à tous les niveaux.

Diplômée de l’École Normale Supérieure de Cachan, Florence Delprat-Jannaud est Responsable des programmes "Captage et Stockage du " et "Gestion du sous-sol pour les Nouvelles Technologies de l’Énergie" au sein de l’IFPEN. Héritier de l’Institut Français du Pétrole, organisme public, l’IFP Energies nouvelles est un acteur majeur de la recherche et de la formation dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’environnement.

 

David Nevicato, Responsable du Programme de recherche sur le captage, la valorisation et le stockage du CO2, groupe Total

David Nevicato

Responsable du Programme de recherche sur le captage, la valorisation et le stockage du CO2 chez TotalEnergies
"Le stockage du CO2 est intimement lié à l’objectif de neutralité carbone."

Le stockage du CO2, une technologie incontournable

Reconnu par les experts internationaux comme une des réponses à l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le stockage du CO2 est encore mal compris des citoyens qui s’interrogent sur cette technique et son impact sur l’environnement. Les explications de David Nevicato, Responsable du Programme de recherche sur le captage, la valorisation et le stockage du COdu groupe Total.

Le stockage du CO2 est intimement lié à l’objectif de neutralité carbone. Sans lui, cet objectif, qui est au cœur de l’action contre le réchauffement climatique, ne sera pas atteint à l’horizon 2050. Le CSCV (captage, stockage et valorisation du CO2) intervient après avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre au maximum, notamment par l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Mais même dans les scénarios les plus optimistes des organismes internationaux du GIEC ou de l’AIE1, le développement ou le maintien de l’activité économique nécessite de grandes quantités d’énergie, notamment sous forme d’énergie fossile, mais aussi de matières premières comme l’acier ou le ciment. Or ces industries lourdes émettent intrinsèquement du CO2, indépendamment de toute source énergétique. Par exemple la transformation du carbonate de calcium en chaux libère du COpour la fabrication du ciment.

Les modèles du GIEC nous apprennent par ailleurs qu’il ne suffira pas d’être neutre en carbone, c'est-à-dire d’arrêter totalement d’émettre du CO2. Il faudra être capable d’aller chercher dans l’atmosphère le carbone que nous y avons mis au cours des siècles.

 

Les limites de la réutilisation du CO2

Que faire du CO2 collecté ? Une solution est d’aller chercher le carbone nécessaire pour l’industrie chimique et les matériaux dans ce CO2 collecté plutôt que dans les hydrocarbures ou la .

Il est possible aussi de l’associer à de l’ « vert » (obtenu par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable) et d’obtenir du . Celui-ci peut par exemple être utilisé comme dans des domaines comme la navigation au long cours.

En recyclant le CO2 collecté des industries ou de l’air, on peut fabriquer des produits qui seront plus durables et respectueux de l’environnement. Le recyclage du CO2 crée cependant un besoin supplémentaire d’énergie décarbonée. Le coût de fabrication des produits issus du recyclage du CO2 dépendra donc en grande partie du prix de l’électricité verte. S’il est trop élevé, les produits bas carbone issus du recyclage du CO2 ne seront pas compétitifs par rapport à ceux produits à partir d’hydrocarbures.

Au final, le recyclage de CO2 contribuera à la réduction des émissions de CO2 mais les volumes estimés se comptent au mieux en centaines de millions de tonnes de CO2 par an. Or les modèles du GIEC indiquent qu’il faudra soustraire de l’atmosphère des volumes de plusieurs milliards de tonnes pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5 ou 2°C. Il faut donc envisager des solutions plus massives pour empêcher le CO2 de retourner à l’atmosphère.

 

Les perspectives du stockage géologique de CO2

Il y a des opérations de stockage de CO2 depuis plus de vingt ans, notamment en mer du Nord et aux États-Unis. Le stockage dans d’anciens réservoirs d’hydrocarbures offre de très bonnes conditions de sécurité à l’échelle de temps géologique, soit des milliers d’années. Notons qu’aucune fuite n’a été enregistrée sur les stockages existants.

Je souligne que, contrairement à une idée répandue, le CO2 n’est pas injecté sous forme gazeuse, mais sous forme liquide et même « supercritique ». Les conditions de pression à plus de 1000 mètres de fond le maintiennent dans cet état. Il s’insère non pas dans une cavité rocheuse, mais dans des sables ou des roches poreuses. Avec le temps (plusieurs dizaines d’années), il va se minéraliser et donc il ne risquera plus de s’échapper.

Pour un stockage massif du CO2, il faut envisager l’injection dans les grands aquifères salins2, à plus de 1 000 mètres de profondeur et, en plus, sous des centaines de mètres de hauteur d’eau quand ils sont en mer. La première étape consiste à identifier ces aquifères profonds qui pourront stocker ce CO2 sans que celui-ci migre vers d’autres réservoirs ou retourne dans l’atmosphère. Il faut aussi s’assurer que le CO2 ne génère pas des mouvements géologiques lors de son injection dans le réservoir. Les simulations sur des calculateurs de plus en plus puissants permettent de prévoir l’évolution du CO2, dans les couches géologiques sur plusieurs centaines d’années. L’imagerie satellitaire et des capteurs portés par des drones ou des engins sous-marins peuvent localiser rapidement d’éventuelles fuites.

De nouveaux projets sont en cours3. Comme pour les éoliennes et les fermes solaires, il faut convaincre les acteurs locaux de la bonne maîtrise de ces techniques, de l’absence de nuisances et des bénéfices directs et indirects.

Ces projets ne peuvent être aujourd’hui viables sans de fortes interventions publiques. C’est là que la fixation d’un prix mondial du carbone suffisamment incitatif jouera un rôle majeur.

Docteur de l’Université Claude Bernard de Lyon en Génie des Procédés et ingénieur de l’ENSIC (École Nationale Supérieure des Industries Chimiques) de Nancy, David Nevicato est Responsable du Programme de recherche sur le captage, la valorisation et le stockage du COdu groupe Total.

 

Sources:

  1. GIEC : Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC). AIE : Agence Internationale de l’Energie
  2. Un salin est une formation géologique constituée de roches sédimentaires poreuses renfermant une eau salée
  3. Un projet international est en cours en Norvège. Capté sur des sites industriels, le CO2 sera transporté par navire jusqu'à un terminal de réception sur la côte ouest de la Norvège. Il sera ensuite acheminé par pipeline jusqu’aux puits d'injection sous-marins situés à l’est du de gaz Troll en mer du Nord norvégienne. Il est prévu le stockage d’1,5 million de tonnes par an, avec un objectif final de 5 Mt par an.