Après Fukushima, où en est le nucléaire ?
Publié le 26.01.2017Lecture 10 min
À chaque accident, l’avenir de cette source d’énergie est soumis à un questionnement et son développement connaît généralement un « creux » plus ou moins marqué. Cinq ans après l’accident de Fukushima en 2011, le nucléaire paraît de nouveau en croissance. Mais c’est une filière industrielle qui, après son essor fulgurant des années 1970, évolue avec lenteur depuis 40 ans.

© KAZUHIRO NOGI / AFP - Un navire livre du combustible nucléaire MOX à la centrale de Takahama, au Japon, relancée deux ans après l'accident de Fukushima en mars 2011.
Le retour aux niveaux d’avant Fukushima
La capacité nucléaire dans le monde a retrouvé et même dépassé ses niveaux d’avant l’accident de Fukushima de mars 2011. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)1, le nombre de réacteurs nucléaires en opération dans le monde était début novembre 2016 de 450 (une incertitude pouvant exister sur le sort indécis de certains réacteurs). La production électrique devrait retrouver ses niveaux de la période 2000/2010 (entre 2 500 et 2 600 TWh), alors qu’elle était tombée à 2 350 en 2012.
Si Fukushima a bien provoqué un « creux » maintenant comblé, il faut noter que le nombre de réacteurs en opération est relativement stable depuis 30 ans. En matière de nucléaire comme dans d’autres secteurs énergétiques, l’unité de temps est la décennie. Pour le nucléaire : 10 ans pour la construction, 50 à 60 ans d’exploitation et 30 ans de démantèlement, donc environ un siècle. Le nucléaire s’est envolé au début des années 1970, au moment des grandes turbulences sur le pétrole, jusqu’à ce que le parc mondial dépasse 400 réacteurs en 1987, un an après la catastrophe de . Depuis, le nombre a oscillé entre 400 et 450, en fonction des mises en service et des arrêts de réacteurs, des hésitations des gouvernements et électriciens, des problèmes de financement et des réactions des opinions publiques. La « Renaissance » du nucléaire, que beaucoup avaient anticipé à partir de 2004, s’est effondrée du fait des crises financières et économiques de 2007-2008, avant même l’accident de Fukushima.
Les perspectives des prochaines années
L’AIEA recensait une soixantaine de réacteurs en construction en novembre 2016. Certains chiffres font état de 160 « projets », à des stades très variés.
Outre les problèmes d’acceptation publique, le nucléaire se heurte à deux difficultés : la concurrence du gaz et du charbon dont les coûts d’utilisation restent plus faibles et le vieillissement du parc actuel. Plus de la moitié des réacteurs dans le monde ont plus de 30 ans, alors que la durée d’exploitation est comprise entre 40 et 60 ans. Construire de nouveaux réacteurs ou prolonger la vie des anciens par de coûteuses mises à niveau va exercer une forte pression financière sur les investisseurs.
En revanche, les préoccupations grandissantes de la communauté internationale devant les risques du peuvent jouer en faveur du nucléaire qui, s’il n’est pas une énergie renouvelable, est une énergie « décarbonée » dont les émissions de CO2 sont très faibles en exploitation.
Le glissement vers l’Est
Aujourd’hui, les trois plus grands pays du nucléaire civil, en termes de capacité installée, sont les États-Unis, la France et le Japon, totalisant à eux trois environ 200 réacteurs sur les 450 aujourd’hui actifs. Ils sont suivis par la Chine et la Russie. Mais plus qu’en nombre de réacteurs, il faut se référer au pourcentage d’énergie nucléaire dans les mix énergétiques. À titre d’exemples : France, 75 % - Belgique, Hongrie, Suède, Corée du Sud, Ukraine, plus de 33% - Finlande, plus de 25 % - États-Unis, environ 20 % - Chine, encore seulement 3 %.
En ce qui concerne les 60 réacteurs en construction, ils sont pour plus de la moitié le fait d’un trio de tête : Chine, Russie, Inde. Ils sont suivis des Émirats Arabes Unis (4) et des États-Unis (4). La Corée du Sud, déjà puissante dans le secteur, continue ses efforts.
Il y a donc un certain glissement des pays développés de l’OCDE vers les pays émergents d’Asie et la Russie. Cette évolution se traduit aussi par l’apparition sur les marchés internationaux des industriels chinois, russes et coréens qui sont aujourd’hui les seuls à avoir les capacités financières pour proposer des offres associées de financement dans des montages du type BOO (Build Own Operate) ou BOOT (Build Own Operate Transfer).
Quelques projets en cours
Royaume-Uni : le parc de 14 réacteurs AGR (Advanced Gas Reactor) arrivant en fin de vie théorique avant 2025, le gouvernement a engagé un programme de renouvellement. Il prévoit deux réacteurs EPR (Evolutionary Power Reactor) sur le site d’Hinkley Point (Royaume-Uni) construits et exploités par EDF-Energy en partenariat avec le Chinois CGN. D’autres projets associant le groupe français Engie, le Japonais Toshiba ou le Coréen KEPCO sont en discussion et beaucoup moins avancés.
Chine : 36 réacteurs nucléaires sont déjà en exploitation, 20 sont en construction et plusieurs dizaines d’autres en projet. Deux géants de l’ chinois, CGN et CNNC, qui ont bénéficié des transferts de technologies française et américaine notamment, manifestent maintenant de grandes ambitions en Chine et à l’international. La seule expérience internationale chinoise se limite aujourd’hui au Pakistan.
Corée du Sud : avec 25 réacteurs et 3 en construction, le pays veut doubler la de son parc nucléaire à l’horizon 2035. La Corée du Sud est très active à l’international (Émirats Arabes Unis notamment).
Russie : disposant d’un parc de 36 réacteurs, la Russie est devenue un des pays exportateurs les plus agressifs en matière de technologie nucléaire au-delà des seuls « pays satellites » de l’ex-Union Soviétique. Ses marchés sont notamment l’Inde, la Chine, la Turquie et d’autres potentiels plus ou moins crédibles (Slovaquie, République tchèque, Hongrie, Bangladesh), voire Afrique du Sud et Brésil.
Pologne : largement dépendant du charbon domestique, le pays projette de construire une ou deux centrales, dont les constructeurs ne sont pas encore choisis.
Finlande : depuis 2005, le français AREVA construit le troisième réacteur de la d’Olkiluoto, un projet qui a subi retards et augmentations des coûts. Une sixième centrale nucléaire sera construite par le russe Rosatom qui a pris une participation importante dans cet investissement.
Turquie : le pays projette de construire plusieurs centrales nucléaires, avec le russe Rosatom, mais aussi Engie, AREVA et le japonais MHI.
Inde : l’Inde exploite 22 réacteurs nucléaires et en construit 5 nouveaux. Elle a 18 projets.
Le Golfe : soucieux de préserver leurs réserves d’hydrocarbures, les pays du Golfe s’intéressent au nucléaire. L’Arabie Saoudite a engagé des discussions avec la Russie et la France pour un programme annoncé comme ambitieux. Les Émirats Arabes Unis ont commencé, avec leur partenaire coréen KEPCO à en construire quatre. L’Iran exploite depuis 2011 le réacteur à eau pressurisée VVER (Vodo-Vodianoï Energuetitcheski Reaktor) 1000 construit par le Russe Rosatom sur le site de Bouchehr ; la construction d’une paire de réacteurs du même type a commencé en septembre 2016.
Afrique : l’Afrique du Sud exploite la seule centrale nucléaire du continent africain, construite avec le français AREVA. De nouveaux réacteurs sont envisagés à partir de 2025, notamment avec la Russie. L’Egypte annonce régulièrement un programme mais sans début de réalisation.
États-Unis : 99 réacteurs sont en opération, dont les trois quarts ont une autorisation d’exploitation jusqu'à 60 ans. Un réacteur dont le chantier de construction avait été interrompu vient d’être mis en service et 4 réacteurs de type AP 1000 Westinghouse sont en construction. Les États-Unis s’intéressent, comme beaucoup d’autres pays, aux réacteurs de petites puissances : les SMR (Small Modular Reactor).
Brésil : Le Brésil, qui a déjà 2 réacteurs nucléaires en exploitation, a pour projet de terminer la construction interrompue d’un 3ème puis de construire 4 à 8 nouveaux réacteurs d’ici 2030.
Japon : Après l’accident de Fukushima, le gouvernement a arrêté provisoirement ses 54 réacteurs. Mais le Japon ne sort pas du nucléaire et 5 unités ont reçu, à ce jour, les autorisations de redémarrer ; elles pourraient être 10 d’ici fin 2017.
La sortie du nucléaire a été actée en Italie en 1987. En Belgique, les 7 réacteurs nucléaires pourraient être fermés d’ici à 2025. En Allemagne, le gouvernement a, aussitôt après l’accident de Fukushima, décidé de sortir du nucléaire d’ici 2022. La Suisse a rejeté fin novembre par referendum l’idée d’une sortie accélérée du nucléaire.
Mentionnons aussi qu’environ 280 réacteurs de recherche sont en exploitation dans 56 pays dont certains sont indispensables à la production d’isotopes médicaux (radiodiagnostic et radiothérapie). S’y ajoutent 220 réacteurs de propulsion navale essentiellement militaires (sous-marins, porte-avions, navires de surface), ainsi que 5 brise-glace (plus 2 en construction) à propulsion nucléaire.
Sources :
- Statistiques AIEA (en anglais uniquement)