Météo et climat : quelle différence ?

Publié le 06.04.2021
Lycée
Sciences de la vie et de la terre

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François-Marie Bréon

Chercheur en climatologie au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) de l’IPSL (Institut Pierre Simon Laplace)
"Les solutions que nous envisageons (utilisation de nouvelles matières premières, coût des technologies, normes sociétales) doivent être bien équilibrées pour ne pas imposer aux prochaines générations des contraintes ingérables."

Analyser les données météo pour comprendre les évolutions du climat

Météo et climat sont deux réalités différentes. Mais les données sur lesquelles travaillent les experts sont souvent les mêmes, analysées ponctuellement ou à plus long terme. François-Marie Bréon, chercheur en climatologie, revient sur cette distinction.

La climatologie s’intéresse aux statistiques des variables météorologiques (températures, précipitations, vent, etc) sans se préoccuper de la date à laquelle elles se produisent. Pour la prévision météo, vous devez savoir quel jour il va pleuvoir. Pour l’analyse climatique, il suffit de savoir le nombre de jours où il pleut dans l’année ou dans la saison.

On questionne souvent la possibilité de faire des prévisions climatiques pour la fin du XXIe siècle, alors qu’on est incapable de prévoir le temps dans dix jours.  Pourtant, les gens admettent que, même si on ne peut pas affirmer que le 14 juillet sera plus chaud que le 14 mars, on sait que le mois de juillet sera plus chaud en moyenne que le mois de mars. De même, je ne connais pas le temps au jour le jour en 2050 mais je peux affirmer que l’année 2050 sera plus chaude en moyenne que 2020. L’étude des statistiques permet de s’affranchir de l’aspect chaotique de la météorologie, qui n’impacte pas les moyennes, et donc les variables climatiques.

 

Un réchauffement déjà sensible

Ceci étant posé, que peut-on dès maintenant constater en analysant les séries météorologiques pour en déduire des scénarios climatiques ?

1. Le est déjà discernable. En France, la température moyenne est pratiquement de 2 degrés plus élevée qu’il y a 70 ans. Depuis le début du XXIe siècle, on a battu en France plusieurs fois les records de température de . A l’inverse, on ne bat plus les records de froid. Plusieurs autres variables traduisent la tendance : la montée du niveau des mers, le recul des glaciers sur les 45 dernières années, les dates de vendanges plus précoces. Les variations de précipitations sont un peu plus difficiles à analyser mais montrent tout de même une augmentation de la fréquence des extrêmes, tels que l’événement dramatique dans le sud-est de la France à l’automne dernier.

2. Le réchauffement actuel a vraiment commencé vers 1970. Avant, il y avait une forme de compensation entre l’augmentation des gaz à et l’augmentation des aérosols, c’est-à-dire des fines particules en suspension dans l’atmosphère. Celles-ci, qui proviennent des tempêtes de sable, des volcans mais aussi des émissions provoquées par l’homme, limitent le rayonnement solaire et ont un effet de refroidissement. Mais les aérosols retombent en quelques jours avec les pluies tandis que les gaz à effet de serre restent très longtemps dans l’atmosphère. Aujourd’hui, ces derniers dominent largement et provoquent une augmentation de la température moyenne.  En plus de la tendance mondiale de 0,18 degrés par décennies sur les 50 dernières années, il y a quelques indications d’une petite accélération sur la dernière décennie.

3. Le réchauffement concerne toutes les régions du globe avec quelques disparités. Il est plus élevé sur les terres que sur les océans. Sur la France, il est assez uniforme, sans grande différence entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest. En revanche, l’évolution des précipitations qui accompagnera inévitablement le réchauffement peut être plus variable. On s’attend à des régimes plus secs dans le sud de la France mais à davantage de précipitations sur le nord. L’impact sur les populations va être différent d’un pays à l’autre. Une augmentation de 2 °C en France posera des problèmes mais moins qu’une augmentation équivalente dans le Sahel africain ou en Inde. Une variation des précipitations dans les pays de mousson peut avoir des conséquences considérables.

4. Les observations historiques des variables météorologiques s’effectuent à la surface.  Elles sont complétées de plus en plus dans les couches de l’atmosphères et sur les immensités océaniques. Les observations satellitaires constituent un énorme apport à l’analyse du climat. Elles permettent de mesurer avec exactitude les températures de surface des océans et les niveaux de la mer en un point donné. Ces données comprennent aussi l’altitude des nuages, la composition de l’atmosphère en vapeur d’eau et en aérosols. Elles permettent en outre de comprendre les cycles de la végétation, l’évolution des dates de floraison, l’impact des périodes de sécheresse sur les couverts végétaux.
L’étude de ces scénarios climatiques doit nous conduire à nous poser une question permanente : que signifient-ils pour les générations suivantes ? Pour nous, le réchauffement est une simple préoccupation parmi d’autres ; il ne faut pas que cela devienne l’objet de toutes les peurs pour nos descendants, comme le virus de la Covid l’est actuellement. Car l’impact du réchauffement va être de plus en plus fort. Et les solutions que nous envisageons (utilisation de nouvelles matières premières, coût des technologies, normes sociétales) doivent être bien équilibrées pour ne pas imposer aux prochaines générations des contraintes ingérables.

Marion Guillou

Diplômée de l’Ecole Polytechnique, docteur en biologie, spécialiste de la sécurité alimentaire mondiale, engagée dans plusieurs instances internationales de recherche agronomique
"Il n’y a pas de modèle unique, mais il faut chercher des convergences au niveau mondial, et agir au niveau local."

Agriculture et élevage face aux nouveaux défis climatiques

Les différences d’échelle entre la « météorologie » locale et le «   » planétaire trouvent une illustration particulière dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, essentiels à l’alimentation humaine.  Marion Guillou, ancienne présidente de l’INRA et membre du Haut Conseil pour le Climat explique ici l’étendue des problèmes à régler à moyen et long terme.

Le « temps qu’il fait » a toujours été un sujet de préoccupation majeur pour les agriculteurs et un facteur décisif pour le niveau des récoltes. Les grandes famines ou les fluctuations des prix des produits alimentaires ont marqué l’Histoire. Mais aujourd’hui la question du changement climatique va bien au-delà de la seule météorologie.
Le changement climatique en agriculture a été observé progressivement depuis la fin du XXsiècle en France. L’avancement des dates de floraison ou des dates des vendanges confirmait peu à peu l’hypothèse mise en débat par les scientifiques du climat.

L’institut national de la recherche agronomique en tirait les conséquences en créant en 2002 une mission « changement climatique » pour revisiter les recherches en cours à l’aune de cette tendance de fond. Les travaux en génétique animale ou végétale, en agronomie comme en techniques d’élevage ou en maladies des végétaux et des animaux, s’en trouvaient modifiés. Des programmes collaboratifs comme Climator évaluaient l’impact du changement climatique et des incertitudes l’accompagnant, sur l’agriculture française. Au-delà du réchauffement progressif, la variabilité accrue du climat devait être mieux anticipée. On commençait à sélectionner des variétés ou des races résistant à des périodes de sécheresse comme à des séquences d’inondations.
Ces changements imposent de remettre en cause la sélection des plantes et animaux, les méthodes de culture et d‘élevage, mais aussi l’aménagement des paysages, des bassins hydrographiques, jusqu’ au commerce mondial des biens agricoles et alimentaires.  En France, dans certaines régions, à certains moments, par exemple dans les cultures de maïs dans le sud-ouest, des tensions apparaissent entre usages concurrents de l’eau. Localement, un nouvel équilibre est à construire avec à la fois des plantes mieux adaptées (variétés plus précoces de maïs) et des aménagements collectifs pour retenir l’eau, ou assurer sa percolation par des suppressions de surfaces imperméabilisées comme le .
Autre exemple, la vigne. Déjà aujourd’hui il y a pour les vins du sud un problème de degré alcoolique trop fort. De plus, quand les nuits sont trop chaudes, les arômes des vins en souffrent. Et bien sûr, les conditions climatiques changeantes font qu’on va pouvoir cultiver des vignes à des altitudes et des latitudes différentes. Ce sont des changements en série, loin de l’impact localisé d’un orage de grêle ou d’un été sec. Pour s’adapter, il faut des variétés sélectionnées pour ces conditions, une attention au micro-climat du pied de vigne, comme des méthodes de culture et de vinification nouvelles.

 

Commerce mondial et types de consommation

Le changement climatique à l’œuvre va avoir des conséquences dramatiques dans certaines régions du monde. En proximité de l’Europe, deux zones importantes seront moins que jamais autosuffisantes du point de vue alimentaire : le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, qui ont une démographie dynamique et des besoins irréductibles. Elles seront très affectées par le réchauffement climatique et nous, Européens, ne pouvons pas nous en désintéresser. Pour elles, comme pour les zones subissant un accident climatique ponctuel, le commerce mondial alimentaire est indispensable. Et il faut collectivement veiller à maintenir le niveau des stocks mondiaux mais aussi à éviter les blocages des exportations dans les moments de tension.

Enfin, une troisième dimension ne peut pas être ignorée : c’est celle du comportement des consommateurs, du gaspillage et des régimes alimentaires. Les protéines animales réclament davantage de facteurs de production que les protéines végétales. Pour un poulet par exemple, il faut l’équivalent de 3 calories végétales pour faire une calorie animale. Pour un bovin, le rapport est de 1 à 8. Aujourd’hui, on consomme beaucoup de protéines animales dans les pays à modèle alimentaire occidental. Il serait possible de modérer ces consommations. Mais dans le reste du monde, en Asie notamment, la tendance est inverse, le demande est de consommer plus de protéines animales. Des modèles de production moins défavorables pour les gaz à effet de serre doivent être promus comme l’élevage à l’herbe ou les techniques culturales favorisant le stockage de carbone dans les sols.

Pour toutes ces questions, il n’y a pas de modèle unique, mais il faut chercher des convergences au niveau mondial, et agir au niveau local.