La gestion des matières plastiques en deux tribunes

Publié le 09.06.2020
Lycée

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Francois Galgani

Océanographe et biologiste, responsable de projets et du site de Bastia à l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer)
"Il y a actuellement plus de 150 millions de tonnes de déchets dans les mers et océans, qui sont à plus de 80 % des matières plastiques."

La pollution marine : des réponses diversifiées

Les trois quarts des déchets rejetés en mer sont arrivés de sources terrestres, acheminés notamment par les fleuves et les rivières. 

Depuis des millions d’années, les masses d’eau des grands bassins océaniques circulent en surface, provoquant parfois de grandes zones de convergence où les courant plus faibles favorisent l’accumulation de tous les déchets flottants. Ces zones d’accumulation se retrouvent dans tous les océans mais également, de manière moins régulière, dans des zones fermées comme la Méditerranée.

Dans « 20 000 lieues sous les mers », le Nautilus de Jules Verne traverse la mer des Sargasses où flottent « des algues brunâtres, des troncs d’arbres arrachés aux Andes ou aux Montagnes-Rocheuses et flottés par l’Amazone ou le Mississipi, de nombreuses épaves, des restes de quilles ou de carènes, des bordages défoncés ». Les animaux passifs (petites tortues, anguilles, plancton) s’y trouvent entrainés.

Depuis les années 1950, les matières plastiques abandonnées ont considérablement amplifié le phénomène. Elles représentent aujourd’hui plus de 80 % des volumes totaux. Contrairement à ce qu’on imagine souvent, 1 ou 2 % seulement de ces déchets flottent en surface, 1 ou 2 % échouent sur les plages. C’est sur le fond qu’ils reposent en quasi-totalité ; il n’y en a pratiquement pas dans la colonne d’eau. Leur taille est très variable, jusqu’à être des microplastiques (de 1 mm à 1/1000 de mm) voire des nanoplastiques en raison de la décomposition lente des polymères.

 

Quels impacts ?
Les impacts de cette situation sont à la fois environnementaux, économiques et sociaux.

En matière d’environnement, un problème majeur est celui des filets de pêches perdus ou abandonnés. Même déchirés, ces filets, aujourd’hui en matières plastiques, continuent à attraper ou étrangler des animaux marins, même de grandes tailles, comme les phoques, les dauphins ou même les baleines. Aux Açores, près de 100 % des déchets sont issus de la pêche. Dans le Golfe du Lion, on estime que 2 à 3 % des stocks de poissons concernés par la pêche sont perdus, sans parler bien sûr de toutes les autres espèces.

L’ingestion des particules plastiques est un phénomène qui concerne toutes les espèces marines, soit parce qu’elles filtrent l’eau, soit parce qu’elles mangent une proie qui en a ingéré. Les tortues et les oiseaux de la famille des procellariiformes, sont particulièrement sensibles. L’impact sur l’homme est moins évident : une étude coréenne a estimé que 5 % seulement des microplastiques que nous ingérons viennent de produits de la mer, alors que 9 % vient de l’eau et 85 % de l’air que l’on respire.

Un troisième type d’ est moins connu du grand public : c’est le transport erratique des espèces, depuis les bactéries jusqu’aux crustacés et aux mollusques. Après le tsunami de mars 2011 au Japon, près de 300 espèces de la macro-faune sont arrivées en Amérique du Nord, portées par les déchets. Un tel brassage génétique, même s’il peut avoir quelques aspects positifs, contribue aussi à véhiculer les maladies et peut changer totalement l’univers d’une espèce.

En matière économique, Les Nations unies estiment à 8 milliards d’euros par an les pertes financières dans le monde, qui vont depuis les accidents maritimes provoqués par les épaves jusqu’au nettoyage des côtes polluées.

 

Des solutions diversifiées
Un phénomène aussi massif et planétaire appelle nécessairement des solutions diversifiées.

Une première série est la sensibilisation des populations, notamment des jeunes. Les expéditions qui partent au milieu des océans pour récupérer les déchets n’ont pas de réel impact quantitatif et sont avant tout des aventures humaines. Mais elles contribuent à cette prise de conscience universelle sans laquelle rien n’est possible.

Un autre axe majeur est de donner une « valeur » aux déchets. Il est illusoire de penser que les consommateurs, les industriels ou les collectivités de toute nature feront des efforts ou des investissements financiers si aucun avantage n’est associé à la collecte ou au traitement.

Prenons deux exemples. Les filets de pêche sont souvent très chers et s’il est possible de récupérer des morceaux importants, de les réparer et de les vendre, alors des opérations deviennent envisageables. Une société dans l’Adriatique s’est spécialisée dans ce domaine. Nettoyer un site touristique représente un coût pour une collectivité locale mais redonne une valeur au site, sur le plan touristique ou patrimonial.

On ne supprimera pas les matières plastiques. Elles sont essentielles pour alléger les avions ou les véhicules, améliorer les équipements médicaux, assurer l’isolation des bâtiments, améliorer l’hygiène des produits alimentaires. Mais on peut freiner la promotion des emballages à usage unique, dont la valeur est nulle, et développer les systèmes d’économie circulaire.

La multiplication de matières recyclables est également essentielle. Des recherches comme celles sur le PDK, permettant de récupérer les fibres originelles, pourraient donner une valeur aux plastiques totalement recyclables. Par les systèmes de consigne, le consommateur peut être intéressé à la collecte et l’industriel du recyclage attiré par la perspective d’une revente. Or récupérer à grande échelle les déchets sur terre permettrait de tarir les flots de plastiques qui finissent dans les mers et les océans.

 

Francois Galgani est océanographe et biologiste, responsable de projets et du site de Bastia à l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer). Il a une expérience de 35 ans de recherche en océanographie et sciences de l'environnement (pollution marine, écotoxicologie et déchets marins). Il est membre de la mission « Horizon Europe - Healthy Oceans, freshwaters and coasts » de la Commission Européenne. Il a participé à de nombreux programmes des Nations unies et d’autres institutions internationales et a dirigé plusieurs campagnes océanographiques dans toute la Méditerranée.

 

Virginia Janssens

Directrice générale de PlasticsEurope
"Perçus d’abord comme un facteur de progrès et d’amélioration de la vie quotidienne, les plastiques sont aujourd’hui mis en accusation en raison des risques environnementaux que présente l’accumulation de leurs déchets. "

Le management des déchets plastiques, l’affaire de tous

Les matières plastiques -ne dites jamais « le » plastique – ont enclenché à partir des années 1950 une révolution grâce à la diversité de leurs usages. Pas de conquête spatiale sans les combinaisons des astronautes, pas de lancement de l’iMac par Steve Jobs sans les coques en ABS dans le design. Pas de robotique, pas de téléphones portables et pas d’airbags de sécurité. La crise du COVID-19 a montré l’importance des masques médicaux, des gants, des surblouses, des lunettes, des vitres de protection et des appareils respiratoires, sans compter la sécurité apportée par les emballages de produits frais.

 

Économies d’énergie et réduction des émissions
Les plastiques jouent un rôle majeur dans deux secteurs essentiels pour l’avenir de la planète : les économies d’énergie, donc la réduction des émissions de CO2, et l’alimentation des 7 milliards d’habitants de la Terre. Alléger le poids des avions et des automobiles est le moyen le plus efficace pour réduire leur consommation. Cela le restera pour la voiture électrique. Dans l’habitat, l’isolation est la mieux assurée grâce à des matériaux plastiques. Dans le transport, si tous les conditionnements plastiques étaient remplacés par du verre, du métal ou du bois, la masse des emballages serait multipliée par presque 4, l’énergie consommée tout au long de leur cycle de vie par plus de 2 et les émissions de CO2 par près de 3. Dans le secteur alimentaire, les plastiques ont apporté une meilleure hygiène et surtout réduit le gaspillage alimentaire qui est un drame planétaire. Savez-vous qu’un concombre enveloppé va se conserver 15 jours de plus ?

Bien sûr, le packaging, qui a pris une place majeure puisqu’il atteint 40 % des usages totaux, présente un problème de taille, celui du traitement de sa fin de vie. C’est un des défis que l’industrie des plastiques doit encore résoudre même si elle a déjà réalisé des progrès.

La clé n’est pas dans l’interdiction des emballages. Méfions-nous des mesures purement symboliques et posons-nous toujours la question : est-ce efficace et efficace pour quel objectif ?

 

Le management circulaire des déchets
De ce point de vue, la solution réside dans ce qu’on appelle l’analyse du cycle de vie des produits plastiques, qui permet d’évaluer l’impact environnemental des produits de leur genèse à leur fin d’utilisation. Il peut être amélioré par une économie plus circulaire. Cette circularité est le facteur clé de la durabilité de nos matériaux et de leur acceptation sociétale.

Après leur consommation - qui varie de moins d’un an à plus de 50 ans - les produits deviennent des déchets qui connaissent une première bifurcation : ils peuvent être collectés, ou non collectés, c’est-à-dire abandonnés dans la nature.

Les déchets collectés peuvent emprunter à leur tour trois voies :

  • être mis en décharge,
  • être reconvertis en énergie (essentiellement par ),
  • être recyclés et donc repartir dans la boucle.

Le défi – la 2eme révolution des plastiques en quelque sorte - est de fermer au maximum le cercle. A savoir parvenir à bloquer deux des voies pour les déchets - la non-collecte et la mise en décharge - et développer les capacités de recyclage. Après utilisation, les plastiques doivent devenir une nouvelle ressource et ne plus être traités comme déchets.

 

Tout le monde est concerné
Ce « management des déchets » du début jusqu’à la fin concerne tout le monde, les citoyens, les collectivités comme l’industrie des plastiques.

Prenons le cas des déchets abandonnés. Les entreprises de la filière doivent en finir avec les pertes accidentelles de granulés dans l’environnement. Les collectivités doivent prendre en charge les systèmes de collecte ou de nettoyage des rivières. Les designers peuvent concevoir une myriade d’innovations très simples, comme les bouchons attachés aux bouteilles. Et bien sûr les citoyens doivent adopter les bons gestes. Il serait par exemple doublement utile que les masques et gants usagés pendant la crise du COVID-19 soient bien jetés dans des sacs fermés et pas dans les containers de tri !

La mise en décharge implique un effort des États. Même en Europe, le continent le plus « vertueux », la disparité est encore énorme entre pays. Si la Suisse, l’Allemagne, les pays scandinaves et le Benelux ont pratiquement éradiqué cette méthode, en revanche le Royaume- Uni, la France, l’Italie et l’Espagne ont encore des taux entre 20 et 40 %.

L’industrie des plastiques a incontestablement son rôle à jouer dans la fin du cycle. L’incinération permet de récupérer de l’énergie sous forme de qui, si elle est bien utilisée, est une ressource importante dans l’habitat ou l’industrie. Mais c’est dans le recyclage que nous devons collectivement nous mobiliser. L’Europe est pionnière car en moins de 15 ans, nous avons fait d’énormes progrès. Et nous avons un objectif volontaire de 60 % des plastiques d’emballage réutilisés ou recyclés d’ici 2030 en Europe, contre 42 % de recyclage en 2018. Pour y parvenir, l’effort d’investissement et de recherche porte sur le recyclage chimique, complément du recyclage mécanique.

A ces conditions, et avec le développement en amont de produits biosourcés et plus facilement recyclables, les plastiques continueront à être des moteurs de progrès pour la santé et la sécurité, l’économie des ressources et la réduction des émissions de gaz à .

 

Virginia Janssens est Directrice générale de PlasticsEurope depuis mars 2020. Elle avait précédemment été Directrice générale d’EUROPEN (European Organization for Packaging and the Environment), une organisation de l’industrie européenne plus spécialement orientée vers l’analyse de l’impact des emballages, notamment plastiques, sur l’environnement. Elle est titulaire d’un Master en sciences politiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain en Belgique et d’un Master de management interculturel de l’ICHEC Business School de Bruxelles.