Points de vue
La méthanisation en Europe

Susanna PflügerSecrétaire générale European Biogas Association"Le biométhane peut aussi jouer un rôle dans la décarbonation des transports puisqu’il peut être directement utilisé dans les moteurs à gaz."
L’essor de la biométhanisation en Europe
La production de biogazLe biogaz est l'un des produits de la méthanisation (digestion anaérobie) de déchets d’origine biologique... a connu un essor remarquable en Europe au cours des dix dernières années. La « biométhanisation » apparaît aujourd’hui comme un des moyens d’atteindre les objectifs de transition énergétiqueLa transition énergétique désigne le passage du système actuel de production d'énergie... de l’Union européenne, en complémentarité avec les autres sources d’énergies renouvelablesOn appelle énergie renouvelable une source d'énergie dont le renouvellement naturel est immédiat ou très rapide... . Susanna Pflüger, secrétaire générale de l’Association européenne du biogaz (EBA) analyse ici les perspectives de cette filière (tribune en collaboration avec Gregory Reuland, chef de projet à l’EBA).
Pour comprendre l’importance de la « méthanisationLa méthanisation (ou digestion anaérobie) est un processus naturel complexe de dégradation de la matière organique... à la ferme », il faut d’abord rappeler quelques notions de base.
- Le biogaz, un mélange principalement composé de méthane (CH4) et de dioxyde de carboneAvec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... (CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... ), est un gaz naturel renouvelable qui s’obtient par un processus naturel de fermentationLa fermentation est la transformation de certains composés organiques sous l'action d'enzymes sécrétées par des micro-organismes... bactérienne (appelé aussi digestion anaérobieSe dit d'un organisme ou d'un micro-organisme ayant la capacité ou le besoin de vivre en l'absence d'air et donc d'oxygène libre. ) de matières biodégradables (animales et/ou végétales).
- Cette biométhanisation permet de transformer en produits à haute valeur ajoutée une grande variété de sous-produits organiques (fumiers, lisiers, résidus de récolte, boues d’épuration, déchets de cuisine, …) tout en captant les gaz à effet de serrePhénomène naturel permettant un accroissement de la température de l'atmosphère d'une planète grâce à la présence de certains gaz... que certains de ces résidus libéreraient sinon dans l’environnement.
- En toute fin de digestion, il reste une fraction organo-minérale, le digestatLe digestat est le nom donné au résidu solide issu de la méthanisation, composé de matière organique non dégradée et de minéraux... , dont les propriétés fertilisantes sont très intéressantes en agriculture.
- Il faut faire la distinction entre biogaz et biométhane : le premier est le mélange « brut » obtenu en fin de digestion tandis que le second est du méthane épuré dont ont été retirés les autres gaz, essentiellement le CO2.
Le biogaz permet une plus grande autonomie énergétique pour les agriculteurs, qui peuvent produire par cogénération La cogénération consiste à produire en même temps et grâce à la même installation de la chaleur (énergie thermique) et de l’électricité... de la chaleurAujourd'hui, en thermodynamique statistique, la chaleur désigne un transfert d'agitation thermique des particules composant la matière... pour un usage local ou de l’électricité autoconsommée ou revendue au réseau public. Le digestat leur assure en outre une indépendance plus grande vis-à-vis des engrais pétrochimiques.
Le biométhane purifié a pour lui l’atout considérable d’être un vecteur aisément stockable et transportable, qui peut être réinjecté dans le réseau de gaz et donc parfaitement compléter les autres formes d’énergies renouvelables. Le biométhane peut aussi jouer un rôle dans la décarbonation des transports puisqu’il peut être directement utilisé dans les moteurs à gaz. Il peut par ailleurs contribuer à décarboner le secteur de l’industrie, comme par exemple les industries chimiques qui ont recours au gaz pour leurs process.
Le développement en Europe
En 2016, on dénombrait 17 662 installations de biogaz en Europe contre 6 227 en 2009. Cette croissance spectaculaire -même si elle marque le pas depuis 2017- est largement attribuable aux programmes de soutien gouvernementaux et aux objectifs européens en matière d’énergie renouvelable. La France est le 5e pays producteur de biogaz, loin derrière l’Allemagne, mais elle connaît un essor récent.
Les situations sont diverses selon les pays1. Ainsi en 2015, en Allemagne, les digesteurs étaient alimentés à plus de 52 % par des cultures énergétiques et à 43 % par les résidus de récolte. En France, la situation est sensiblement différente : plus de 67 % des sous-produits digérés provenaient de résidus de récolte et de fumier (seulement 14 % des cultures énergétiques).
Le biogaz utilisé en cogénération (pour produire chaleur et électricité) reste très largement majoritaire avec plus de 250 TWh produits. Le biométhane, lui, en est à ses débuts avec 17 TWh. Mais son essor est remarquable. Entraînée par l’Allemagne, la France et la Suède, la croissance européenne du biométhane a été de 40 % pour l’année 2016.
L’exemple de la France est frappant : elle est passée de 3 unités de biométhane en 2013 à 65 unités en 2018, représentant une capacité de 1 TWh/an. En outre, le nombre de projets en attente d’un raccordement sur le réseau se compte par centaines. Certaines sources parlent d’un potentiel de 8 TWh/an en file d’attente !
L’Union européenne a fixé un objectif de 32 % d’énergie renouvelable en 2030 et une part minimum de 14 % de combustibles provenant de sources renouvelables pour le transport.
Aucune source d’énergie renouvelable prise seule ne permettra de réaliser ces objectifs. En revanche, c’est dans la complémentarité des différentes formes d’énergies renouvelables que la transition énergétique pourra être atteinte.
Nombre de projets rassemblant industries, universités et centres de recherche européens sont à l’étude2 qui positionnent la digestion anaérobie comme technologie clé dans les systèmes d’économie circulaire en combinaison avec d’autres procédés et nouvelles technologies. Dans ce contexte, la méthanisation peut jouer un rôle essentiel dans l’atteinte des objectifs fixés par l’Union européenne.
Susanna Pflüger, née en 1984 en Finlande, est diplômée d’études européennes de l’université de la Ruhr à Bochum (Allemagne). Elle a rejoint l‘European Biogas Association en 2012 et l’a représentée à l’Union européenne à Bruxelles. Elle en est devenue secrétaire générale en 2016.
(2) Notamment les projets européens de traitement des digestats Systemic, Nutri2Cycle et ALG-AD