Points de vue
Taxe carbone

Alain GrandjeanAssocié-fondateur du cabinet de conseil Carbone 4"L’objectif est clair : il s’agit de favoriser les activités moins carbonées, par exemple les centrales au gaz plutôt que les centrales au charbon."
Les marchés du carbone : un développement mondial qui doit être interconnecté
Le principe du « marché du carbone » a été conçu dès le début des négociations internationales sur le climat et ses premières applications remontent au Protocole de KyotoLe Protocole de Kyoto est un traité international organisé dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques... signé en 1997. A partir de 2005, l’Union européenne puis d’autres pays et régions mondiales ont mis en place de tels systèmes. Alain Grandjean, associé fondateur de Carbone4, explique les enjeux de ces marchés.
L’Union européenne a instauré en 2005 le plus intégré, sinon le plus efficace, des marchés du carbone, appelé système communautaire d’échange de quotas d’émission (dit ETS, Emission TradingLe trading (traduction littérale le commerce) consiste à intervenir sur les marchés financiers. Les opérateurs de trading sont les traders... Scheme). Dans les dix dernières années, beaucoup d’autres sont apparus, notamment en Californie, en Nouvelle Zélande, en Suisse, au Québec (qui s’est couplé avec le marché californien), dans neuf États de l’est des États-Unis, dans deux régions du Japon et, ce qui est important, dans plusieurs zones économiques chinoises qui vont fusionner en un marché national dès 2017.
Le mécanisme est simple : on attribue des quotas d’émissions aux entreprises émettrices, elles peuvent les échanger et un prix se forme ; si l’entreprise émet plus que ses quotas, elle doit en acheter et cela représente un coût pour elle. L’objectif est clair : il s’agit de favoriser les activités moins carbonées, par exemple les centrales au gaz plutôt que les centrales au charbon.
En Europe, le marché de quotas concerne les grandes entreprises très émettrices, comme l’électricité, la chimie, la sidérurgie, la production de ciment ou de papier. Il ne concerne pas les ménages, les PME ou même les grandes entreprises peu émettrices. De ce fait, le marché couvre la moitié des émissions de CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... de l’Europe. Dans cette moitié, la production électrique représente 50 %.
Bien sûr, un tel système ne fonctionne que si le prix est suffisant ! En 2016, dans le système européen, il oscille autour de 5 euros la tonne. C’est bien trop bas. Il faudrait un prix de l’ordre de 30 euros au moins pour que le charbon soit pénalisé d’une façon suffisante par rapport au gaz et pour encourager le « switch » de l’un à l’autre.
La première raison de cette faiblesse du prix est l’excès de quotas alloués. Il est vrai qu’il était difficile d’anticiper la crise économique mondiale qui a conduit à une forte baisse de la croissance. La gouvernance n’est pas non plus satisfaisante car il n’y a pas une agence autonome, une « banque centrale » qui régulerait le marché. Mais il y a des solutions pour aller vers des niveaux de prix plus satisfaisants, en assurant à la fois un prix plancher pour rendre le système efficace et un prix plafond pour rassurer les acteurs.
Les distorsions de concurrence
La question de la concurrence entre les entreprises mondiales ne peut en effet être négligée. Des secteurs comme la sidérurgie ou le ciment sont en concurrence avec les producteurs des autres régions mondiales, notamment avec la Chine. Si on ne veut pas les pénaliser, et à défaut de taxe carbone aux frontières, impossible à mettre en œuvre aujourd’hui, il est souhaitable d’établir des interconnexions entre les différents marchés. Si demain la Chine unifie son marché national du carbone, et si le sidérurgiste chinois subit un même prix à la tonne de carbone que le sidérurgiste européen, alors il n’y aura pas de distorsion de concurrence liée au carbone. Ne soyons pas angéliques : il y a bien d’autres facteurs qui donnent à la Chine un avantage compétitif, mais au moins il n’y aurait pas d’aggravation liée au fait que l’Europe serait plus « vertueuse » que la Chine en matière climatique.
Le même type de problème se pose avec les Etats-Unis. Il n’est pas possible fin 2016 de prévoir la politique climatique de Donald Trump, mais il est évident que les Etats américains producteurs de charbon et les entreprises pétrolières seront hésitants à l’extension de mesures donnant un prix au carbone. Notons par ailleurs que l’éviction du charbon, dont l’exploitation assure beaucoup d’emplois, posera dans beaucoup de pays, comme l’Afrique du sud, l’Inde ou plus près de nous la Pologne, un difficile problème social.
Polytechnicien et docteur en économie de l’environnement, Alain Grandjean est associé- fondateur depuis 2007 de Carbone 4, premier cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatiqueVoir la définition du réchauffement climatique... . Il est notamment l’auteur avec Gérard Mestrallet et Pascal Canfin d’un rapport remis au gouvernement français en juillet 2016 sur les moyens de mettre en place un prix du carbone dans le cadre de l’application de l’Accord de Paris sur le climat1. Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment « Financer la transition énergétiqueLa transition énergétique désigne le passage du système actuel de production d'énergie... », avec Mireille Martini paru en 2016 aux éditions de l’Atelier. Il est aussi conférencier et formateur depuis 2007 sur la thématique énergie-climat et le financement de la transition énergétique.