Points de vue
Négociations internationales et émissions de CO2

Hervé Le TreutPhysicien, climatologue et dirigeant de l'Institut Pierre Simon Laplace"Il ne sera pas possible d’atteindre nos objectifs, ou en tout cas d’être sur la bonne voie, s’il ne se produit pas, à un moment donné, des innovations qui provoquent un effet de rupture."
Les technologies au service du climat
Maintenir la hausse de la température moyenne de la planète en dessous de 2° C est un objectif très ambitieux, peut-être même hors d’atteinte compte tenu de l’accumulation de CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... dans l’atmosphère due aux activités humaines depuis 150 ans. Hervé Le Treut, climatologue, qui a participé aux travaux du groupe international d’experts, le GIECLe GIEC est le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat... , explique ici les leviers qui doivent être mis en œuvre pour au moins s’engager sur le bon chemin.
Lors de la COP21, les dirigeants de la communauté internationale se sont fixé l’objectif de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète d’ici 2100 sous la barre des 2° C, par rapport à l’ère préindustrielle – un objectif jugé minimal. Selon les analyses présentées dans les rapports du GIEC, il faut, pour y réussir, parvenir à « zéro émission » de gaz à effet de serrePhénomène naturel permettant un accroissement de la température de l'atmosphère d'une planète grâce à la présence de certains gaz... provoquée par les activités humaines « avant la fin du siècle ». Une date plus précise est aujourd’hui impossible à fixer, mais cette échéance est très contraignante. Les modèles demandent même un peu plus. Pour réduire la « dette » liée au CO2 déjà accumulé dans l’atmosphère, il faudra très probablement recourir à des émissions négatives, c’est-à-dire reprendre massivement, d’ici quelques décennies, du dioxyde de carboneAvec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... à l’atmosphère – une capacité aujourd’hui inexistante.
C’est le grand défi d’un équilibre à retrouver : une humanité qui poursuive son développement sans émettre de gaz à effet de serre, des puitsDésigne la cavité cylindrique creusée dans le sous-sol par un forage... naturels qui captent ces gaz autant que la planète en émet elle-même. Un objectif directeur, qu’il se révèle tenable ou non…
Pour y parvenir, il faut conduire des actions très diversifiées et surtout ne pas les opposer les unes aux autres. Si l’on ne joue pas sur tous les leviers, on n’y arrivera pas. On a besoin d’absolument tout : d’une maîtrise des consommations énergétiques, d’infrastructures nouvelles, de véritables ruptures technologiques.
Les économies d’énergie, qui permettent de réduire les émissions de manière immédiate, sont tout à fait indispensables. Cent ans après son introduction dans l’atmosphère, la moitié d'une quantité de CO2 donnée y est encore présente. Si les émissions de CO2 et d’autres gaz à vie longue sont réduites dès aujourd’hui, c’est autant de gagné sur l’avenir. À l’inverse, ne pas faire l’effort dès maintenant, c’est prendre une responsabilité irréversible.
Les infrastructures, comme celles relevant de l’habitat ou des transports, sont essentielles et il ne faut pas reporter à plus tard leur transformation. Le faible taux annuel de renouvellement de l’habitat mondial rend urgente l’action dans ce domaine. De manière générale, un foisonnement de solutions peut éviter l’invocation de solutions miracles, c’est-à-dire de solutions sur lesquelles on mise tout avec un risque difficile à évaluer. Par exemple, convertir à l’électricité d’ici 2040 toutes les voitures produites en France aura un impact positif et fort sur la santé dans les zones urbaines, mais son impact environnementalL'impact environnemental désigne l'ensemble des modifications de l'environnement générées par les activités humaines... plus large est complexe et réclame des analyses précises.
La nécessité de ruptures technologiques
Les technologies nouvelles seront au cœur des solutions. Il faut pousser au maximum le développement technologique ; c’est une impérieuse nécessité qui n’est pas assez présente dans le débat public. Je prendrai l’exemple du captage-stockage de CO2. C’est une solution qui serait très importante si elle pouvait marcher. Il y a bien sûr de grandes inconnues économiques, techniques, géologiques. Mais j’ai le sentiment, en tant que citoyen observateur, que l’évaluation n’est pas allée jusqu’au bout.
Il ne sera pas possible d’atteindre nos objectifs, ou en tout cas d’être sur la bonne voie, s’il ne se produit pas, à un moment donné, des innovations qui provoquent un effet de rupture. Il ne s’agit pas nécessairement de développer des formes d’énergie nouvelles, mais aussi de mettre au point des technologies qui induisent un changement qualitatif et quantitatif sur leur exploitation, leur transport, leur stockage, etc.
Ces ruptures technologiques sont nécessaires pour que les pays émergents ne mettent pas leurs pas dans les mêmes traces que les pays industrialisés. Car c’est actuellement la grande difficulté : en 40 ans, les émissions mondiales ont doublé, et la part des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)L’OCDE a été fondée en 1960. Sa mission est de promouvoir les politiques en vue d'améliorer le bien-être économique et social... dans celles-ci est passée de 60 à 30 % environ. Mais ces pays émergents utilisent les mêmes technologies que celles qui ont provoqué l’emballement des émissions.
Il y a ainsi deux exigences fondamentales :
- avoir une recherche active de toutes les solutions possibles, en les évaluant, bien sûr, mais sans les opposer les unes aux autres, et sans se focaliser sur des filières miracles ;
- avoir des débats publics forts. Il faut une appropriation de ces thèmes par le grand public, faute de quoi ces transitions se heurteront à des incompréhensions bloquantes. Pour cela, l’effort d’éducation des nouvelles générations est absolument essentiel.
Diplômé de l’Ecole normale supérieure, Hervé Le Treut est physicien, climatologue. Après une carrière au CNRS, il est désormais professeur à Sorbonne Université et à l’École Polytechnique et dirige l'Institut Pierre Simon Laplace (IPSL). Il est membre de l'Académie des sciences depuis 2005. Ses travaux sur la modélisation numérique du système climatique et sur les impacts du changement climatiqueVoir la définition du réchauffement climatique... sont internationalement reconnus et lui ont valu de participer aux différents rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), jusqu’à celui de 2013. Il a été membre du Comité de Pilotage de la COP21, et co-organisateur de la Conférence « Our Common Future under Climate Change » tenue en amont de la COP21 à l’UNESCO et l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie).