La géothermie en France

Publié le 20.05.2019
Lycée

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Michèle Cyna

Présidente de la Commission « Géothermie » du Syndicat des énergies renouvelables (SER)
"Les systèmes géothermiques présentent des perspectives intéressantes : rendements remarquables, coûts de fonctionnement très faibles, réglementations de plus en plus allégées (...)"

Produire du chaud, du froid et du « frais » grâce à la géothermie

Les systèmes géothermiques dans l‘habitat, pour la production de chaud, de froid et de « frais », présentent des perspectives intéressantes : des rendements remarquables, des coûts de fonctionnement très faibles, des réglementations de plus en plus allégées. S’ils séduisent dans l’urbanisme de bureaux, ils peinent à convaincre les propriétaires de maisons individuelles. Michèle Cyna, Présidente de la Commission « » du Syndicat des énergies renouvelables (SER), explique les évolutions du secteur.

Faire du chaud, du froid et – nous le verrons- du frais à partir de l’énergie du sous-sol, grâce à la géothermie, est une méthode qui mérite sans aucun doute d’être développée. Intéressons-nous ici à la géothermie « très basse énergie », qui fait appel aux pompes à , en dehors donc de celle qui assure de la chaleur à haute température ou permet de produire de l’électricité. Elle représente les trois quarts de l’énergie géothermique produite en France et sa réglementation a été assouplie depuis 20141. Il est aujourd’hui possible de mettre en place, sans complexité administrative excessive, des équipements entre 10 et 200 mètres de profondeur sur quelque 98 % du territoire français. Ils peuvent desservir aussi bien des maisons individuelles que des grandes tours de bureaux ou des îlots de quartier.

 

Deux méthodes principales de géothermie 

La première est de remonter l’eau d’une nappe phréatique. On les rencontre dès 10 mètres de fond, car une nappe n’est pas un « lac » souterrain, mais une eau qui circule, quelquefois en petites quantités, dans des réseaux de faille. Cette eau échange sa chaleur, via un échangeur en forme de serpentin, avec le circuit de l’immeuble ou de la maison considérée.

La seconde méthode, en l’absence de nappe, est d’introduire dans le sous-sol une sonde, c’est-à-dire une boucle qui contient un liquide caloriporteur lequel va lui aussi transmettre ses calories, via un échangeur, au circuit en surface.

 

L’essor du « geocooling »

Reliée au circuit, la pompe à chaleur permet de produire du chaud en hiver ou du froid en été, via un climatiseur. Mais la géothermie très basse énergie peut aussi assurer du « frais ». Cette idée nouvelle de « geocooling » est particulièrement intéressante dans les latitudes plutôt tempérées de la France.

L’eau ou le fluide caloriporteur est généralement entre 15 et 20 °C pendant toute l’année. En été, ce liquide, sans même passer par la pompe à chaleur, va porter l’eau du réseau du bâtiment à cette même température. Elle n’assurera pas une « climatisation » mais elle va garantir, sous nos climats, environ 5° C de moins que la température extérieure. Par exemple, s’il fait 30 °C dehors, il fera 25 °C dans les bureaux.  Cela suffit pour donner une impression de fraicheur et de confort. Bien sûr, si la température s’envole durablement à 35 °C, il faudra, peut-être, aller vers de la « clim » plus puissante.

Le geocooling – donc le frais plutôt que le froid – a un coefficient de performance extraordinaire, autour de 60.  Ce coefficient est le rapport entre l’énergie électrique qui fait fonctionner les pompes et l’énergie produite par le système. Pour avoir les mêmes 5 °C de moins, il aurait fallu mobiliser, par une climatisation, 60 fois plus d’électricité.

Une autre application tout à fait remarquable est ce qu’on appelle la « boucle tempérée ». Au lieu d’apporter l’eau à température constante à 15-20 °C à un seul bâtiment, on la fait circuler sur une boucle qui dessert tout un quartier. Des pompes à chaleur décentralisées vont s’y greffer et faire du chaud et du froid pour tout un groupe de bâtiments. C’est le cas au nouveau siège d’Airbus à Toulouse. Les retours d’expérience après plus de deux ans sont très positifs. Les climatisations de secours prévues en cas de canicules n’ont jamais servi…

L’utilisation de la géothermie très basse énergie se développe de façon régulière dans l’urbanisme de bureaux, notamment en Île-de-France, comme dans le cas du grand centre commercial d’Aéroville, près de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Outre l’efficacité reconnue, les promoteurs y trouvent une occasion d’obtenir les labels environnementaux. En revanche, dans les maisons individuelles, le marché est très déprimé. Le à 10 ou 20 mètres et le risque d’échec dans la recherche d’une nappe effrayent souvent les propriétaires. La baisse du prix des énergies fossiles, l’amélioration de l’isolation des maisons n’incitent pas non plus à chercher des énergies moins chères. C’est dommage ! Car ces installations, plus coûteuses en investissements, sont imbattables en frais de fonctionnement…

 

Diplômée de l' École Polytechnique, de l' École nationale des Ponts et Chaussées et du MIT à Boston, Michèle Cyna a été directrice déléguée à l'international pour Veolia Transport. Elle est aujourd’hui Directrice générale de BURGEAP, un bureau d’études en environnement spécialisé sur les questions de l’eau, de la pollution des sols et de l’air, de l’énergie, de la santé, de l’environnement industriel, de la déconstruction et du nucléaire. Elle est Présidente de la Commission « Géothermie » du Syndicat des énergies renouvelables (SER).

 

  1. La réglementation relative à la « géothermie de minime importance » permet d’engager des projets sur simple déclaration ou avec des demandes d’autorisation simplifiées.

 

Louis-Marie Denoyel

Chargé de mission « chaleur renouvelable » au Ministère de la Transition Ecologique
"Les perspectives de la géothermie en France La géothermie est reconnue par les pouvoirs publics français comme une des sources les plus prometteuses de chaleur renouvelable (...)"

Les perspectives de la géothermie en France

La géothermie est reconnue par les pouvoirs publics français comme une des sources les plus prometteuses de chaleur renouvelable, aux côtés du bois-énergie, des pompes à chaleur,  de la chaleur solaire et du . Elle présente en outre des perspectives intéressantes pour générer du « froid renouvelable », plus vertueux que celui des climatiseurs. Les explications de Louis-Marie Denoyel, Chargé de mission « chaleur renouvelable » au Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.

La géothermie se présente sous différents types liés à la profondeur et à la température de la ressource de chaleur, qui permettent d’apporter des solutions individuelles ou collectives très variées.

La géothermie profonde de basse énergie, entre 30 et 90 °C, est bien adaptée à l’alimentation de réseaux de chaleur urbains pour desservir des quartiers de plusieurs milliers d’habitants ou des parcs industriels. En France, cette chaleur est généralement puisée entre 1 000 et 2 500 mètres de profondeur dans des aquifères, issus par exemple de reliquats des anciennes mers emprisonnées dans les couches poreuses des bassins sédimentaires. Le bassin parisien (avec l’ du Dogger), les bassins aquitain et lorrain, sont les zones les plus favorables. Des explorations précises pour mieux établir la localisation et les caractéristiques des aquifères sont de ce point de vue souhaitables.

Dans ces installations, l’eau puisée en profondeur remonte à la surface, transmet ses calories au réseau local via un échangeur de chaleur, puis repart dans les profondeurs. L’avantage est que l’installation en surface, où l’eau souterraine passe brièvement, occupe peu de place, ne dégage aucun polluant, est insonore et d’une maintenance facile. Une fois l’investissement initial pour le forage et le réseau urbain fait, le coût d’exploitation est quasiment nul pour une période prévisible d’au moins 30 ans, souvent 50 ou 60 ans. La principale précaution est de ne pas réaliser des forages trop proches les uns des autres pour ne pas épuiser la ressource.

La géothermie profonde de haute énergie, avec des températures dépassant 150 °C, permet d’envisager la production d’électricité. En France, c’est le cas à Soultz-sous-Forêts en Alsace et Bouillante en Guadeloupe. Des projets nouveaux existent mais la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) oriente en priorité les soutiens publics vers la valorisation de l’énergie géothermique en chaleur, moins coûteuse et plus efficace que la valorisation électrique.

 

La géothermie très basse énergie

Quand la température de l’eau descend en-dessous de 25 °C, on entre dans le domaine de la géothermie très basse énergie. Si le forage ne présente pas de danger ou d’inconvénient grave pour l’environnement (faible profondeur, faible température d’eau prélevée, faible débit, etc.), on parle de « géothermie de minime importance » avec une réglementation très simplifiée. Il faut alors avoir recours aux pompes à chaleur géothermiques.

Ce secteur très basse énergie ouvre une perspective très intéressante : la possibilité d’utiliser la ressource pour de la chaleur et (ou) du refroidissement. Cette potentialité sera à l’avenir d’autant mieux mise en valeur que l’Union européenne va prochainement définir la notion de « froid renouvelable », dans laquelle rentrera très probablement l’utilisation d’une telle ressource géothermique.

Le froid géothermique a au moins trois avantages majeurs sur la climatisation classique.

- La pompe à chaleur géothermique a un meilleur rendement que le climatiseur air-air et consomme donc moins d’électricité. Il y a ainsi moins de risques de saturation du réseau électrique en période de canicule.

- Un projet géothermique collectif, dans un ensemble de bureaux par exemple, permet une structure centralisée, et donc une meilleure gestion des fluides frigorigènes que dans le cas de climatiseurs individuels. Or ces fluides ont un pouvoir de réchauffement de l’atmosphère considérable. Sur une échelle où le CO2 est fixé à 1, le méthane à 4, la majorité des fluides frigorigènes utilisés aujourd’hui sont au-dessus de 600 ! Alors que l’utilisation des climatiseurs est en hausse exponentielle dans le monde, les fuites de tels fluides ne sont pas un problème mineur.

- Enfin, si tout le monde recourt à un climatiseur air-air, utilisant l’air extérieur, un effet « îlot de chaleur » peut conduire à un réchauffement local significatif.  Avec la géothermie, la chaleur est réinjectée dans le sol et réchauffe la ressource qui pourra être utilisée pour le chauffage hivernal.

Les exploitations de la géothermie thermique, et notamment les projets de grande taille, sont soutenus par les pouvoirs publics à travers le « fonds chaleur » géré par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) depuis 2009.Il a été augmenté de 20 % courant 2018, et de nouveau de 20 % dans le budget 2019 pour atteindre 307 millions d’euros. En 2018, 10 % du fonds ont été consacrés à la géothermie.

 

Louis-Marie DENOYEL est Chargé de mission « chaleur renouvelable » depuis septembre 2018 au sein de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), au Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Il est diplômé de l’Ecole Polytechnique, de l’Université de Cambridge, et Ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après des études d’ingénieur et d’économie, il choisit de travailler sur les politiques publiques énergétiques européennes et sur l’autoconsommation photovoltaïque. Il travaille aujourd’hui entre autres au développement des filières de chaleur renouvelable.