Points de vue
Le point sur les biocarburants

Laurent FourageResponsable des programmes de bioconversion du CO2 au sein de la Division Biofuels, branche Raffinage-Chimie, Total"Le recours aux microalgues présente de multiples avantages sur le plan environnemental. "
Les perspectives d’avenir des algocarburants
Au-delà des biocarburantsUn biocarburant est un carburant produit à partir de matières végétales ou animales... conventionnels, une nouvelle génération vise à utiliser la biomasseDans le domaine de l'énergie, la biomasse se définit par l'ensemble des matières organiques d'origine végétale ou animale... des microalgues. La commercialisation de ces nouveaux carburantsUn carburant est un combustible liquide (comme l'essence), gazeux (comme le GPLc) ou solide (comme un propergol)... pourrait commencer avant la fin de la prochaine décennie. L’analyse de Laurent Fourage, Responsable des programmes de bioconversions du C02 dans la branche Raffinage-Chimie du groupe Total.
L’utilisation de la biomasse des microalgues fait l’objet de très nombreuses recherches et expérimentations dans le monde entier. Cette matière est même déjà exploitée commercialement pour la production de produits à haute valeur ajoutée, dans la biochimie, les cosmétiques ou l’alimentation, généralement par des start-ups innovantes qui ont trouvé leur marché.
Une longue chaîne de recherches
La transformation en biocarburants - on parle parfois d’algocarburants – est encore en phase de développement. Les volumes à traiter et à produire soulèvent des questions d’une autre échelle en matière de choix technologiques et de rentabilité. De ce fait, ce sont aujourd’hui de grandes sociétés industrielles, notamment les groupes énergétiques, qui conduisent les recherches, appuyés sur tout le tissu académique et universitaire.
Le premier défi est de déterminer les espèces qui produiront le maximum d’huiles transformables en biocarburants. En plus de la recherche des meilleures souches naturelles de microalgues, on peut chercher à modifier génétiquement les souches existantes pour améliorer leur productivité. Cette dernière solution est plus restrictive compte tenu des normes européennes qui n’autorisent pas la culture en milieu ouvert des MGM (Micro-organisme Génétiquement Modifié). Reste alors à poursuivre le « screening » de la biodiversitéLa biodiversité désigne la diversité naturelle des organismes vivants... , c’est-à-dire passer en revue les centaines de milliers d’espèces d’algues. Nous sommes loin d’avoir tout exploré.
Etape suivante, il faut travailler sur le meilleur procédé possible de culture. Les bioréacteurs, c’est-à-dire les équipements comme ces tubes en verre qu’on a l’habitude de voir, sont aujourd’hui mieux adaptés à la fabrication de produits à haute valeur ajoutée et faibles volumes. Pour les biocarburants, la solution la plus mature actuellement semble toujours être le bassin ouvert (open pond en anglais). Il exige moins d’investissement et répond mieux à la nécessité de produire en grandes quantités. Des installations prototypes (à l’échelle de l’hectare en Europe) sont déjà en place, parallèlement aux recherches en laboratoire.
L’objectif principal des études est d’augmenter la productivité par unité de surface. Il y a de multiples problèmes techniques mais il y a des solutions pour chacun. Parmi les opérations gourmandes en énergie à travailler et optimiser, on trouve notamment la séparation de la biomasse algale du milieu de culture. A noter aussi une étape délicate : l’extraction de l’huile car il faut extraire un produit éminemment hydrophobe d’un milieu qui est hautement hydrophile. Huile et eau ne font pas bon ménage ! Ensuite, pour passer aux biocarburants, on peut utiliser les techniques habituelles utilisées pour la transformation des huiles végétales (colza, huile de palme, etc…).
Notons que les chercheurs travaillent sur une autre approche qui n’est pas fondée sur l’extraction de l’huile, mais l’utilisation directe de la biomasse des algues. C’est la liquéfactionLa liquéfaction désigne l'un des changements d'état de la matière, de l'état gazeux vers l'état liquide... hydrothermale. Après récolte, les algues sont portées à haute température et haute pression. Cela produit une bio-huile qui ressemble au pétrolePétrole non raffiné. brut et peut être raffinée. L’intérêt est qu’on peut utiliser des souches qui ne sont pas elles-mêmes productrices d’huiles. La biomasse est utilisée dans son entier. Le procédé reconstitue ce que fait la nature en millions d’années pour produire le pétrole…
Avantages et obstacles
Le recours aux microalgues présente de multiples avantages sur le plan environnemental. Les souches utilisées sont cultivables en eau de mer, donc sans solliciter les ressources en eau douce. Il faut certes de vastes étendues pour installer les bassins mais il n’est pas nécessaire de mobiliser des terres cultivables. Un autre potentiel très intéressant est que la culture de microalgues nécessite du CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... . Il faut environ 2 tonnes de dioxyde de carboneAvec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... pour produire une tonne de biomasse. Il y a donc là une des voies de valorisation de CO2, qui apportera sa pierre à l’ensemble des actions pour réduire les émissions.
La difficulté, comme dans toutes les filières naissantes, est le coût. On peut estimer que le coût de production du litre de carburant tiré des algues est aujourd’hui entre 5 et 10 euros, notamment parce que limité à une échelle pilote. C’est un niveau non commercialisable actuellement.
Mais les perspectives sont réelles comme en témoignent le grand nombre de recherches engagées dans le monde entier. Les États-Unis sont très actifs, avec une aide substantielle des pouvoirs publics. L’Inde est un acteur bien avancé et la Chine a un gros réseau de laboratoires académiques.
La France aussi a un très bon réseau académique. L’implication de groupes industriels agissant en partenariat, parmi lesquels le groupe Total, devrait permettre de lancer à l’horizon 2025 un projet industriel et commercial pour des biocarburants.
Laurent Fourage est Responsable des programmes de bioconversion du CO2 au sein de la Division Biofuels de la branche Raffinage-Chimie du groupe Total. Il avait auparavant travaillé dans la société Proteus, spécialisée dans la biotechnologie industrielle. Laurent Fourage est diplômé de l’Université de Nantes. Avant de rejoindre Protéus, Laurent Fourage a fait son postdoctorat à Cambridge (MRC-Laboratory of Molecular Biology, UK).