Points de vue
Le point sur le captage-stockage du CO2

Florence Delprat-JannaudResponsable du Programme "Captage et Stockage du CO2" à l’IFPEN"Pour atteindre la neutralité carbone à la moitié de ce siècle, il n’y a pas le choix : il faut utiliser tous les moyens possibles. "
Pour gagner la bataille climatique, il faut utiliser tous les moyens techniques
Le maintien du réchauffement climatiqueLe réchauffement climatique, appelé aussi réchauffement planétaire ou réchauffement global, est un phénomène d'augmentation de la température moyenne des océans... sous la barre des 2°C (voire 1,5°C) d’ici la fin du siècle suppose une série d’actions complémentaires. Le CSCV (captage, stockage et valorisation du CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre... ) – CCUS en anglais- est l’un des outils pour parvenir à cet objectif. L’analyse de Florence Delprat-Jannaud, Responsable du Programme "Captage et Stockage du CO2" à l’IFPEN.
Qu’est-ce que la neutralité carbone ?
Le succès de l’action internationale contre le réchauffement climatique suppose de maîtriser les émissions des gaz à effet de serrePhénomène naturel permettant un accroissement de la température de l'atmosphère d'une planète grâce à la présence de certains gaz... générées par les activités humaines, au premier rang desquelles le CO2, issu des fumées industrielles et de la production d’énergie. Cette maîtrise passe d’abord par la « neutralité carbone ».
Rappelons en quelques mots ce que cela signifie. Il s’agit de l’équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre (GES)Les gaz à effet de serre sont des gaz dont les propriétés physiques induisent un réchauffement de l’atmosphère de notre planète... émises dans l’atmosphère (production d’énergie, transports, habitat, procédés industriels et agricoles, changement d’utilisation des terres) et celles absorbées par la planète, notamment grâce aux « puitsDésigne la cavité cylindrique creusée dans le sous-sol par un forage... » de carbone que constituent les végétaux, les sols, les océans.
Pour réaliser cet équilibre, il y a deux approches possibles, qu’il convient de ne pas opposer :
- réduire les émissions, en limitant l’usage des énergies fossiles au profit des énergies renouvelablesOn appelle énergie renouvelable une source d'énergie dont le renouvellement naturel est immédiat ou très rapide... , en améliorant l’efficacité énergétiqueEn économie, l'efficacité énergétique désigne les efforts déployés pour réduire la consommation d'énergie d'un système... des usines et des exploitations agricoles ;
- accroître les capacités d’absorption de la planète, en limitant la déforestation ou les pollutions marines, ou, demain, en stockant le CO2 dans le sous-sol après une intervention humaine.
Les divers moyens d’action
Pour atteindre la neutralité carbone à la moitié de ce siècle, il n’y a pas le choix : il faut utiliser tous les moyens possibles. Opposer les moyens entre eux, bloquer l’un sous le prétexte qu’il serait moins efficace que d’autres, va à l’encontre de l’objectif de limitation du réchauffement climatique.
L’Agence internationale de l’énergie (AIEL'AIE (IEA en anglais) est une agence autonome au sein de l'OCDE, créée en 1974 lors du premier choc pétrolier... ) s’appuyant sur les travaux du GIEC, a défini des scénarios visant à limiter en 2100 ce réchauffement à 2°C ou à 1,5°C. Ils prennent en compte toutes les solutions à notre disposition.
Pour le scénario à 2°C, il faudrait avoir fait dès 2050 les 4/5 du chemin vers la neutralité carbone. L’efficacité énergétique, qui permet d’économiser l’énergie dans la vie quotidienne et dans les industries, peut assurer près de 42 % de l’effort, le passage aux énergies renouvelables 34 % et le maintien du nucléaire 6%. La contribution du captage et stockage du CO2 interviendrait pour un chiffre significatif, 7 à 10 %. Si l’on vise une limitation de l’augmentation de la température moyenne du globe à 1,5°C en 2050, la contribution du CSCV devrait passer à 32 %. Dans tous les cas, sans le CSVC, les objectifs climatiques sont hors d’atteinte.
Le CSCV n’est qu’une des solutions mais qui présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre plus rapidement que d’autres solutions : il ne nécessite ni de remplacer entièrement des installations industrielles, ni de faire évoluer l’ensemble d’un réseau de distribution d’énergie. Bien sûr, pour que cette technique puisse avoir un effet sur le climat, il faut être capable de la déployer à une très grande échelle.
La nécessité de captages massifs de CO2
Aujourd’hui, il y a une vingtaine d’installations de tailles notables qui permettent de stocker environ 37 millions de tonnes de CO2 par an. Pour atteindre les objectifs climatiques, il faudrait être en mesure de stocker en 2050 environ 5 gigatonnes. Il faut donc passer de 37 à 5 000 millions de tonnes ! On n’est pas dans le même ordre de grandeur. Cela implique des financements considérables.
Les recherches en cours dans le monde visent d’ailleurs surtout à mettre au point des processus qui réduisent les coûts, notamment pour la phase de captage. C’est l’étape la plus onéreuse, puisqu’elle peut représenter jusqu’à 70 % du coût total.
Le captage concerne aujourd’hui les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, à savoir la sidérurgie, les cimenteries, les centrales thermiques. C’est encore plus complexe et coûteux pour les petits émetteurs, où le CO2 est plus dilué dans les fumées.
Le problème pour assurer le financement de telles opérations massives est que le prix de la tonne de carbone est trop faible pour enclencher un mécanisme « pollueur = payeur ». On ne donne pas de valeur à l’impact environnementalL'impact environnemental désigne l'ensemble des modifications de l'environnement générées par les activités humaines... des émissions de gaz à effet de serre, et donc mettre le CO2 dans le sous-sol ne rapporte rien, en l’état actuel, à ceux qui le font.
D’autre part, il faut réintégrer le captage-stockage-valorisation du CO2 dans le cycle de vie des produits et évaluer, non seulement en termes économiques mais aussi en termes d’impact environnemental de ces produits.
C’est donc une approche qui concerne toutes les filières industrielles et il y a beaucoup d’innovations à introduire à tous les niveaux.
Diplômée de l’École Normale Supérieure de Cachan, Florence Delprat-Jannaud est Responsable des programmes "Captage et Stockage du CO2" et "Gestion du sous-sol pour les Nouvelles Technologies de l’Énergie" au sein de l’IFPEN. Héritier de l’Institut Français du brut (pétrole)Pétrole non raffiné. , organisme public, l’IFP Energies nouvelles est un acteur majeur de la recherche et de la formation dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’environnement.
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