Points de vue
Le nucléaire est-il bon pour l'environnement ?

Valérie FaudonDéléguée Générale de la Société Française d’Énergie Nucléaire (SFEN) et Vice-Présidente de l’European Nuclear Society (ENS)"L’urgence climatique, c’est-à-dire la nécessité impérieuse de lutter contre le réchauffement de la planète, est de plus en plus clairement perçue par les opinions publiques comme le défi environnemental le plus important, en France et dans le monde. "
Le nucléaire, une énergie bas carbone face à l’urgence climatique
Le débat en France sur la transition écologique a remis au premier plan la question de la réduction des énergies qui émettent du dioxyde carbone (CO2), à savoir les énergies fossiles. S’il n’est pas une énergie « renouvelable » en l’état actuel de son développement, le nucléaire est néanmoins une énergie décarbonée qui contribue à la baisse des émissions. Valérie Faudon, déléguée générale de la Société Française d’Énergie Nucléaire (SFEN) livre son analyse.
L’urgence climatique, c’est-à-dire la nécessité impérieuse de lutter contre le réchauffement de la planète, est de plus en plus clairement perçue par les opinions publiques comme le défi environnemental le plus important, en France et dans le monde. Cette lutte passe par la réduction des émissions de gaz à effet de serrePhénomène naturel permettant un accroissement de la température de l'atmosphère d'une planète grâce à la présence de certains gaz... , en particulier du CO2, et donc par ce qu’on appelle une « décarbonationLa décarbonation du bilan énergétique d'un pays consiste à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (CO2 et méthane, principalement). » des différentes énergies que nous utilisons.
Le nucléaire est une énergie « décarbonée », c’est-à-dire qu’elle n’émet pas de CO2 dans la production d’électricité proprement dite. Pour une comparaison complète des énergies entre elles, les experts ont mis en place des analyses du cycle de vie. Il s’agit dans le cas du nucléaire de calculer les émissions induites par la construction d’un réacteur, son fonctionnement pendant plusieurs décennies, son démantèlement, mais aussi la production de l’uraniumMétal gris, très dense et radioactif, l'uranium est un élément relativement répandu dans l'écorce terrestre et l'eau des océans... enrichi, le retraitement du combustibleUn combustible désigne tout composant ou matière solide, liquide ou gazeux susceptible de se combiner à un oxydant... et la gestion des déchets. Sur ces bases, la production d’un kilowatt-heure (kWh) d’électricité nucléaire dans le monde dégage en moyenne 12 grammes de CO2 (et même moins en France), selon les études du GIECLe GIEC est le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat... 1 , admises par tous. C’est un chiffre à peu près équivalent à celui du kWh éolien et inférieur à celui du kWh photovoltaïque (autour de 50 g). Et bien sûr sans comparaison avec ceux du gaz (autour de 500 g) ou du charbon (autour de 1 000 g).
La complémentarité nucléaire-renouvelables
Regardons d’abord la situation à l’échelle de la planète. Un premier défi est de décarboner le secteur électrique, qui représente à lui seul 40 % des émissions mondiales. La production est encore assurée à plus de 65 % par les énergies fossiles, dont 40 % par le seul charbon. Un second défi est de faire face à une demande croissante. La plupart des études estiment que la consommation va doubler d’ici 2050, en raison de la progression de la population mondiale, de l’essor des pays émergents et de l’électrification de besoins, comme ceux de la voiture électrique. Et n’oublions pas qu’il y encore 1 milliard d’habitants qui n’ont pas accès à l’électricité !
Ce double défi – décarboner et répondre aux besoins - est immense : trois ans après l’accord de Paris, les émissions de CO2, au lieu de diminuer, continuent à augmenter. Le nucléaire sera indispensable, aux côtés des énergies renouvelablesOn appelle énergie renouvelable une source d'énergie dont le renouvellement naturel est immédiat ou très rapide... , pour atteindre les objectifs de décarbonation. Cela ne signifie pas que la part du nucléaire dans le mix électriqueLe mix électrique représente les proportions de chacune des filières de production électrique : nucléaire, thermique... va s’envoler. Selon les scénarios, elle restera au même niveau, juste au-dessus de 10 %.
Examinons maintenant quelques cas en Europe. Les pays qui ont combiné énergie nucléaire et hydroélectricité, comme la Suède et la Suisse, ont rapidement réduit leurs émissions. En revanche, l’Allemagne n’atteindra pas ses objectifs climatiques. Malgré des investissements massifs dans les énergies renouvelables, notre voisin outre-Rhin n’a pas été en mesure, du fait de la fermeture prématurée de ses centrales nucléaires, de réduire la part du charbon qui reste stable (à près de 40 %). Une sortie du charbon, tellement nécessaire dans la lutte pour le climat et contre la pollution de l’air, sera très longue.
En France, la part importante du nucléaire (près de 75 %), combinée aux renouvelables (l’hydroélectricité notamment), a fait de notre pays le moins émetteur par habitant des sept puissances les plus développées. Substituer des énergies renouvelables bas-carbone à du nucléaire bas-carbone dans le secteur électrique ne permettra pas de réduire davantage les émissions. Au pire, cela pourrait conduire à une augmentation des émissions, car le caractère variable des énergies éoliennes et solaires rend nécessaire de maintenir des moyens suffisants de production disponibles 24h/24. Ainsi, le scénario prévisionnel pour descendre à 50 % de nucléaire en 2025 (date initialement prévue) aurait nécessité de garder 4 centrales à charbon et de construire 20 nouvelles centrales à gaz, toutes fortement émettrices de CO2. C’est pour éviter ce risque que le délai a été repoussé à 2035.
Certes, l’énergie nucléaire suscite des inquiétudes. Les accidents majeurs ont marqué l’opinion qui s‘interroge aussi sur la gestion des déchets. Pourtant, du stockage géologique au contrôle par une autorité de sûreté indépendante, des solutions existent.
L’énergie nucléaire a le potentiel pour décarboner plus et plus rapidement. Sa flexibilité, c’est-à-dire sa capacité à augmenter ou diminuer sa production, rend possible le développement du solaire et de l’éolien tout en assurant la sécurité d’approvisionnement. C’est l’ensemble des technologies bas carbone (renouvelables, nucléaire ainsi que le captage et le stockage du carbone) qu’il faut mobiliser pour répondre à l’urgence climatique.
Valérie FAUDON est Déléguée Générale de la Société Française d’Energie NucléaireC'est l'énergie produite dans les centrales nucléaires... (SFEN) et Vice-Présidente de l’European Nuclear Society (ENS). Elle est enseignante à Sciences-Po dans le cadre de la Public School of International Affairs. Elle a été Directrice Marketing d’AREVA de 2009 à 2012, après avoir occupé différentes fonctions de direction chez HP puis Alcatel-Lucent, aux Etats-Unis et en France. Valérie est diplômée de l’Ecole Polytechnique, de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, et de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle est aussi titulaire d’un Master of Science de l’Université de Stanford en Californie
Sources :
[1] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.