Points de vue
La mobilité

Cécile MaisonneuvePrésidente, La fabrique de la Cité"Sous l’effet de la révolution numérique mais aussi sous la pression accrue des aspirations environnementales, la mobilité urbaine connaît de profondes mutations. "
Se déplacer dans la ville du futur : enjeux de la mobilité urbaine
Mobilité multimodale, véhicules à la demande, déconnexion de l’usage et de la propriété, électrification lente mais croissante du parc de véhicules, partenariats entre opérateurs publics et acteurs du transport à la demande, révolution annoncée du véhicule autonome… : sous l’effet de la révolution numérique mais aussi sous la pression accrue des aspirations environnementales, la mobilité urbaine connaît de profondes mutations. Cécile Maisonneuve, Présidente de la Fabrique de la Cité, analyse ces évolutions.
Dans le domaine de la mobilité, pourtant soumis à de fortes inerties, la puissance des évolutions liées au numérique donne l’impression d’une histoire qui s’accélère. Des marques inconnues il y a encore cinq ans – Waze, Citymapper, Uber, Blablacar, YoTrain par exemple quand on est à New York ou Kappo quand on est cycliste à Santiago du Chili – voire des figures nouvelles – le cycliste livreur de repas ou de colis – font aujourd’hui pleinement parties de notre paysage quotidien d’usagers de la mobilité. Tant la mobilité des personnes que celle des biens sont concernées par cette mutation des usages, une véritable révolution copernicienne qui nous a conduit à passer en quelques années des transports, notion centrée sur l’infrastructure, à la mobilité, concept qui met l’accent sur les utilisateurs. Déjà, le glissement sémantique opéré par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014, avait substitué à l’ancienne autorité organisatrice de transport urbain (AOTU) l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM). Avec la nouvelle appellation, en juin 2017, du syndicat des transports d’Ile-de-France, qui devient « Ile-de-France mobilités », la mobilité se décline désormais au pluriel.
Ces évolutions rapides suffisent-elles à dessiner les contours d’une mobilité durable, c’est-à-dire fluide et compatible avec nos aspirations à une ville du bien-être ? Certes, le numérique, via les nouveaux services qu’il offre, révèle les usages, rend nos choix et ceux des opérateurs de mobilité plus conscients, plus informés. Mais les change-t-il en profondeur ? Car, dans le même temps, les statistiques du nombre de kilomètres parcourus par véhicule aux États-Unis sont là pour rappeler que nous nous déplaçons toujours plus. De même, les statistiques de la congestion urbaine confirment nos intuitions d’usagers : ainsi, New York, où l’on assiste à une concurrence forte entre véhicules de transports à la demande et transports publics, est une ville en train de se bloquer. En Europe, une récente étude du BCG (Boston Consulting Group) et d’Ipsos sur les attentes des Européens en matière de mobilité rappellent que ceux-ci passent beaucoup de temps à se déplacer (presque deux heures par jour), qu’ils utilisent encore à 65 % leur voiture pour aller travailler, se former et que 58 % d’entre eux déplorent la congestion qu’ils ont à subir aux heures de pointe.
Ce que rappellent ces statistiques et enquêtes, c’est que le report vers des modes de transport denses (transports publics et voitures particulières remplies) ne s’est pas réalisé. Les chiffres de la pollution le prouvent. De même, ils soulignent l’extrême complexité des problèmes à résoudre, qui n’ont rien de nouveau, à commencer par celui de la congestion urbaine, pourtant crucial. Une smart city dans laquelle on ne peut plus bouger n’a pas de sens. Aussi révolutionnaire qu’il soit, le numérique n’est donc pas la seule clé qui permettra à une vraie mobilité centrée autour des usages d’advenir. L’autre clé se trouve dans le monde physique, c’est-à-dire l’urbanisme. Ainsi, c’est par une opération d’aménagement urbain qu’Oslo a entrepris de s’attaquer à la place des voitures particulières, qu’elle souhaite interdire en son centre.
Une leçon à méditer : pour résoudre l’équation dont les termes, pour l’heure contradictoires, sont d’une part la montée des préoccupations environnementales et de santé des citadins, d’autre part leur aspiration constante à se déplacer de manière fluide, il n’existe pas de solution magique, aussi innovante soit-elle. L’avenir de la mobilité centrée sur les usages se jouera dans notre capacité à articuler les outils et acteurs de la révolution numérique avec des interventions éclairées sur les infrastructures, l’espace public et le bâti. Pour le dire autrement, par des allers-retours constants entre les modes numériques et physiques.
Les Européens ne disent pas autre chose lorsque, dans l’enquête précitée, ils affichent à la fois un optimisme sans faille à l’égard du rôle des technologies numériques pour améliorer le quotidien de la mobilité et un message tout aussi fort à l’intention des autorités publiques sur la nécessité d’investir dans la route, les réseaux de transports publics urbains, les connections intermodales, mais aussi le rail ou encore les bornes de recharge pour véhicules électriques.
Cécile Maisonneuve est aujourd'hui Présidente de la Fabrique de la Cité, le think tank des innovations urbaines créé et soutenu par le groupe VINCI. Elle est aussi conseillère auprès du Centre Energie de l'Institut français des Relations Internationales (IFRI), qu’elle dirigeait auparavant. Elle y a consacré ses recherches aux politiques énergétiques européennes et à la géopolitique de l'énergie. De 2007 à 2012, elle fut en charge de la prospective et des affaires publiques européennes et internationales chez AREVA. Elle a commencé sa carrière comme administrateur des services de l'Assemblée nationale. Ancienne élève de l'École Normale Supérieure, lauréate de Sciences Po et diplômée en histoire (Paris IV - Sorbonne), elle est co-auteur d’une biographie sur Benjamin Franklin (Perrin, 2008) et de divers articles et études sur l'énergie. Elle est membre de Vox Femina, association qui promeut la parole des femmes expertes dans les médias.