Points de vue
L’essor du bois-énergie en deux tribunes

Bertrand CharrierProfesseur à l’Université de Pau et des Pays de l'Adour, Directeur d’équipe à l’IPREM (Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux) et Coordinateur du réseau national XYLOMAT"Depuis des millénaires, le bois fournit à l’Homme son énergie et ses qualités de matériau utilisés pour la « chimie verte ». Alors que l’action pour le climat s’amplifie dans le monde, sa capacité à capter le carbone a relancé son utilisation."
Le bois, source d’énergie et base de la chimie verte
Le bois a été un des premiers matériaux utilisés par l’Homme aux temps préhistoriques pour se chauffer, chasser, fabriquer des armes et construire des habitations. Puis il a fourni les premières molécules de la « chimie verte ». Il y a 2 000 ou 3 000 ans, les Égyptiens et les peuples du pourtour de la Méditerranée savaient produire du goudron végétal avec les exsudats d’arbres résineux (comme le pin et le sapin). Mélangés à des fibres végétales, ils permettaient d’étanchéifier les coques des bateaux par le procédé du calfatage. Des traces de résines végétales ont été retrouvées sur les céramiques et amphores de l’Antiquité. Elles assuraient notamment l’étanchéité des récipients.
Très vite, les artisans découvrirent qu’en distillant la résine de pin, on obtenait une partie solide et inodore, la colophane, et une autre partie volatile et odorante, l'essence de térébenthine. La colophane, mélangée à l’huile de lin, a permis de fabriquer des vernis d’un tel niveau de résistance, de souplesse et de plasticité que le grand luthier de Crémone, Stradivarius, les utilisa sur ses violons. Ils ont défié le temps puisque qu’ils n’ont généralement pas bougé depuis 300 ans. L’essence de térébenthine s’est vite imposée comme un solvant des graisses et des cires d’une grande efficacité. La laque utilisée depuis très longtemps en Asie est aussi issue d’une résine et de la sève de divers arbustes (dont la gomme d’acacia).
A partir du milieu du XVIIIe siècle, le bois a été le combustibleUn combustible désigne tout composant ou matière solide, liquide ou gazeux susceptible de se combiner à un oxydant... de la Révolution industrielle, avant l’usage massif du charbon. Il a alimenté les fourneaux des chaudières à vapeur et a fourni la structure des premières machines, des premières voitures, des premiers avions. C’est lui qui a donné naissance à l’industrie chimique.
C’était la matière première indispensable et tellement exploitée qu’au début du XIXe siècle, on s’est aperçu que la forêt disparaissait. Il a fallu la protéger et engager une politique de plantation initiée 150 ans plus tôt par Colbert pour les bois de marine. D’autres énergies ont alors été mises à contribution. Vint l’ère du charbon puis celle du pétrolePétrole non raffiné. , avec toutes les applications dans le domaine des polymères et des plastiques.
Le retour en force du bois
On le redécouvre aujourd’hui en raison de son caractère renouvelable qui le rend précieux pour contenir les émissions de CO2Dioxyde de carbone. Avec la vapeur d'eau, c’est le principal gaz à effet de serre (GES) de l'atmosphère terrestre...
des énergies fossiles et donc lutter contre le réchauffement climatiqueLe réchauffement climatique, appelé aussi réchauffement planétaire ou réchauffement global, est un phénomène d'augmentation de la température moyenne des océans...
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Les technologies du XXIe siècle permettent d’abord de perfectionner toutes les utilisations qui avaient été mises en valeur au long des siècles précédents. Elles ont permis de comprendre par exemple les réactions chimiques très complexes entre la colophane et l’huile de lin. Des projets sont en cours pour produire des vernis haut de gamme, certes plus chers mais plus performants que ceux provenant du pétrole autant du point de vue technique qu’environnemental.
Le besoin de biocarburantsUn biocarburant est un carburant produit à partir de matières végétales ou animales... de deuxième génération, qui ne proviennent pas de plantes alimentaires, a conduit à relancer les recherches sur l’utilisation du bois. Une usine prototype dans l’est de la France (à Bazancourt près de Reims) travaille sur ce créneau depuis 2008 dans le cadre du projet Futurol.
La filière papetière, qui reste la grande utilisatrice du bois, a su aussi progressivement isoler de la fibre de cellulose très pure. La filière de traitement, par le procédé au bisulfite, permet de fabriquer de nombreux produits dérivés, depuis les explosifs comme la nitrocellulose jusqu’aux émulsifiants pour la cuisine (des glaces par exemple) ou des excipients pour des médicaments. Nous avons dans les Landes une usine du groupe papetier Rayonier qui est devenue leader mondial dans ce secteur.
Il est à noter que les papeteries industrielles s’orientent de plus en plus souvent vers cette bioraffinerie et ne rejettent plus de sous-produits. Elles peuvent relancer notamment les tanins, utilisés dans les filières du cuir et des encres, ou le tall oil utilisé dans plusieurs filières industrielles (pharmacie, chimie, cosmétique...)
Je ne développerai pas les autres facteurs positifs qui peuvent favoriser le retour du bois ou du carton, comme la limitation de l’usage des plastiques dans certains produits (couverts et assiettes) ou de nouvelles conceptions architecturales évitant le recours au béton.
Une filière de nouveaux emplois
Cette renaissance de la filière présente deux caractéristiques intéressantes :
- elle a tous les outils technologiques pour fabriquer en grande quantité mais sans menacer nos forêts. L’habitude a été prise aussi de replanter après utilisation. La surface forestière française (16 millions d’hectares) est deux fois supérieure à celle du début du XIXe siècle. Bien sûr, ce n’est pas le cas partout dans le monde
- La filière emploie près de 400 000 salariés en France. Les écoles de formation bénéficient d’un maillage très important dans toutes les régions, avec trois écoles d’ingénieurs (Nantes, Épinal, Cluny) et beaucoup de très bons lycées professionnels répartis sur tout le territoire.
Et pourtant, la filière a du mal à attirer les jeunes. Trop d’idées fausses circulent sur les métiers du bois alors que la dimension technologique s’impose de plus en plus et multiplie les opportunités professionnelles !
Bertrand Charrier est Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il dirige à Mont de Marsan une équipe de l’IPREM (Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux), unité mixte de recherche entre l’Université et le CNRS. Il est également coordinateur du réseau national XYLOMAT, qui regroupe divers acteurs pour des projets R&D, des développements de produits et de prestations diverses liés aux matériaux biosourcés.