Points de vue
L’énergie dans les grands affrontements mondiaux

Alain BeltranAgrégé d’histoire, docteur ès Lettres et directeur de recherche au CNRS."Les nuées d’avions et de chars lourds de la guerre de 1939-45 laissent la place à des appareils et équipements infiniment plus sophistiqués, plus efficaces et plus chers, mais beaucoup moins nombreux."
L’énergie, le nerf de la guerre ?
L’entrée dans l’ère industrielle a placé les énergies au cœur des rivalités et conflits mondiaux. La maîtrise des ressources de charbon, de pétrolePétrole non raffiné.
puis de gaz, a été un enjeu tout au long du XXe siècle et le demeure encore largement aujourd’hui. Alain Beltran, Directeur de recherche au CNRS, décrypte pour Planète Énergies les grandes confrontations autour des énergies.
L’ère du charbon et du train
Les premiers grands changements arrivent au début de l’ère industrielle. Ils sont visibles dès la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865). Le Nord a du charbon, le Sud a du coton. Le charbon, c’est l’acier et la machine à vapeur, donc le train qui transporte plus vite troupes et matériels. C’est aussi les bateaux à vapeur et même les sous-marins qui peuvent assurer des blocus. Cet accès à l’énergie et à l’industrie lourde donne aux forces nordistes d’Abraham Lincoln un avantage stratégique. La guerre franco-prussienne de 1870 et la guerre russo-japonaise de 1904-1905 sont elles aussi marquées par cet impact de l’industrie et des moyens de transport.
L’arrivée du pétrole
La première guerre mondiale (1914-1918) consacre la nouvelle ère du pétrole. Dès 1911, Winston Churchill fait remplacer la propulsion au charbon par celle au fioul sur les bâtiments de la Royal Navy. Les fumées sont moins noires, donc moins repérables, les carburantsUn carburant est un combustible liquide (comme l'essence), gazeux (comme le GPLc) ou solide (comme un propergol)... plus concentrés et efficaces. Toutes les innovations de la Grande Guerre comme les premiers avions, les premiers chars ou les lance-flammes tournent autour des carburants pétroliers.
L’approvisionnement en pétrole devient donc essentiel. Les compagnies pétrolières britanniques sont très tôt actives en Perse et au Moyen-Orient et les États-Unis assurent aux alliés des livraisons massives. En décembre 1917, Georges Clemenceau envoie un télégramme terrible au président américain Woodrow Wilson : « l’essence est aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain ».
La deuxième guerre mondiale
La deuxième guerre mondiale (1939-1945) confirme et accroît l’enjeu du pétrole. L’attaque japonaise sur la marine américaine stationnée à Pearl Harbor intervient quelques jours après que le président Roosevelt eut bloqué les exportations de pétrole vers le Japon. Un des axes de l’offensive d’Hitler en Russie vise Bakou et ses gisementsUn gisement est une accumulation de matière première (pétrole, gaz, charbon, uranium, minerai métallique, substance utile…)... de pétrole, l’Afrika Korps de Rommel avait pour cible l’Egypte puis l’Irak.
L’essence est tellement indispensable que son coût n’est plus un problème. Après le débarquement de Normandie, le pétrole arrive d’Angleterre par le gazoducCanalisations destinées à transporter du gaz sur de longues distances (sur terre ou au fond de la mer). Pluto avant d’être acheminé par camions vers le front. Sur deux litres qui partent, un seul arrive, mais on n‘hésitera pas à répondre aux besoins…
L’arme géopolitique
À partir des années 1970, le pétrole est devenu une arme politique. Les pays arabes producteurs ont imposé des embargos pétroliers, moins pour gêner les armées que pour faire pression sur les opinions publiques de pays consommateurs. Par ailleurs, les États-Unis s’inquiètent souvent de la dépendance de l’Europe au gaz russe. Mais l’arme géopolitique du pétrole et du gaz est-elle vraiment efficace ? Dans le premier cas, ni les États-Unis ni Israël n’ont finalement plié devant l’embargo. Dans le deuxième cas, il est apparu que si l’Europe a besoin d’acheter le gaz russe, la Russie a en retour besoin de le vendre pour soutenir son économie….
Les conflits du futur
Les approvisionnements en hydrocarburesLes hydrocarbures sont des composés chimiques dont les molécules sont constituées d'atomes de carbone et d'hydrogène... restent essentiels et le seront sans doute pour longtemps. Avec toutefois quelques éléments modérateurs.
Les nuées d’avions et de chars lourds de la guerre de 1939-45 laissent la place à des appareils et équipements infiniment plus sophistiqués, plus efficaces et plus chers, mais beaucoup moins nombreux. Même les équipements des soldats deviennent un concentré de technologies de pointe ce qui réduit le caractère massif des besoins en carburants ou matériaux.
Par ailleurs, les militaires s’intéressent aux énergies renouvelablesOn appelle énergie renouvelable une source d'énergie dont le renouvellement naturel est immédiat ou très rapide... , comme le solaire, qui permettent de produire de l’électricité localement, sans avoir besoin d’apporter du fuel par convois aux éléments avancés. Car ces impératifs logistiques constituent une faiblesse. Au plus fort de son engagement en Afghanistan, l’état-majorTerme anglo-saxon utilisé pour désigner les principales compagnies pétrolières. américain a calculé qu’un « marine » américain était tué ou blessé tous les 50 convois de ravitaillement.
Alain Beltran est agrégé d’histoire, docteur ès Lettres et directeur de recherche au CNRS. Il travaille à l’unité mixte Sorbonne IRICE (Identités, Relations internationales et Civilisations européennes) et préside depuis 2006 le Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie. Parmi ses ouvrages, « Histoire(s) de l'EDF, comment se sont prises les décisions de 1946 à nos jours », avec J-F Picard et M. Bungener, (Dunod) et « La fée Électricité », coll. « Découvertes Gallimard / Sciences et techniques »).