Points de vue
L'avenir du parc nucléaire français

Jacques Percebois Professeur émérite à l’Université de Montpellier et directeur du Centre de Recherche en Économie et Droit de l'Énergie (CREDEN)"La concurrence mondiale se fait plus vive dans la filière nucléaire."
Les débats de la COP21 ont prudemment évité le sujet mais c’est pourtant une évidence : si la priorité est bien de lutter contre le réchauffement climatiqueLe réchauffement climatique, appelé aussi réchauffement planétaire ou réchauffement global, est un phénomène d'augmentation de la température moyenne des océans... , alors le nucléaire est incontournable. La nécessité de promouvoir des énergies bas-carbone fait que le nucléaire est un élément de la solution, à côté des énergies renouvelablesOn appelle énergie renouvelable une source d'énergie dont le renouvellement naturel est immédiat ou très rapide... auxquelles il ne faut pas l’opposer.
D’ailleurs, s’il n’a pas été la vedette du sommet de Paris, le nucléaire est souvent une composante non négligeable des contributions nationales qui avaient été demandées à tous les pays. C’est le cas pour les deux plus gros émetteurs de gaz à effet de serrePhénomène naturel permettant un accroissement de la température de l'atmosphère d'une planète grâce à la présence de certains gaz... , la Chine et les États-Unis. La Chine dispose de 30 réacteurs, en a 25 en construction et a 114 projets à l’horizon 2030 ! Les États-Unis, qui disposent du plus grand parc mondial avec une centaine d’unités en production, se relancent et ont cinq réacteurs nouveaux en construction. La Russie, l’Inde, la Corée comptent fortement sur le nucléaire. Le Japon envisage prudemment un retour de sa filière après le traumatisme de Fukushima. Beaucoup de pays émergents et producteurs de pétrolePétrole non raffiné. s’y intéressent : Turquie, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, plusieurs pays d’Amérique latine, et des nouveaux venus comme le Vietnam. En Europe de l’Est, la Bulgarie a deux réacteurs en construction, la Pologne et la République tchèque ont des projets dans les cartons. La grande absente est l’Europe occidentale, à l’exception des deux réacteurs EPR de 1 600 MW en construction en France et en Finlande et des deux projets d’Hinkley Point au Royaume-Uni.
Au total, 75 centrales sont en construction dans le monde. La part du nucléaire dans le mix électriqueLe mix électrique représente les proportions de chacune des filières de production électrique : nucléaire, thermique... mondial (de 12 à 13 % aujourd’hui) devrait progresser, quoique lentement, car la concurrence du gaz et du charbon reste puissante.
La France dans la compétition
Face à ces marchés prometteurs, la concurrence s’est faite plus vive. En ce qui concerne les centrales, c’est le russe ROSATOM qui sans conteste rafle le plus de contrats en cette deuxième décennie du siècle. La Russie travaille « clé en main », en fournissant le réacteur et le combustibleUn combustible désigne tout composant ou matière solide, liquide ou gazeux susceptible de se combiner à un oxydant... , qu’elle récupère après usage. Viennent ensuite les compagnies nippo-américaines, aujourd’hui ensemble, et les sociétés coréennes. Enfin, les sociétés chinoises pointent le nez à l’international.
Les produits auront tendance à se diversifier, avec une demande potentielle – mais encore peu satisfaite – pour des petits réacteurs de 1 000 MW (voire moins), mieux adaptés aux réseaux électriques plus modestes des pays en développement.
La France ne doit pas manquer l’occasion d’être présente sur ces marchés prometteurs, elle qui était en avance sur ses concurrents. La filière, qui vient de se réorganiser en séparant de nouveau les deux branches « réacteurs » et « combustibles » – a perdu du terrain dans la construction des centrales. Mais elle reste bien placée sur le cycle du combustible (extraction de l’uraniumMétal gris, très dense et radioactif, l'uranium est un élément relativement répandu dans l'écorce terrestre et l'eau des océans... , enrichissement, retraitement).
Elle se positionne aussi sur un marché colossal qui apparaît au fur et à mesure du vieillissement des centrales, celui du démantèlement et de la remise à niveau des sites. Il intéresse AREVA et EDF mais aussi bien d’autres groupes, tel Veolia, ouvrant ainsi à l’industrie d’indiscutables perspectives.
Docteur en Sciences économiques, Jacques Percebois est professeur émérite à l’Université de Montpellier et dirige le Centre de Recherche en Économie et Droit de l'Énergie (CREDEN). Il a été chargé par le gouvernement français en 2011 de diriger avec Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIEL'AIE (IEA en anglais) est une agence autonome au sein de l'OCDE, créée en 1974 lors du premier choc pétrolier... ), un travail collectif qui a abouti au rapport « Énergies 2050 » sur les différents scénarios possibles de politique énergétiqueLa politique énergétique d'un pays est l'ensemble des orientations et décisions prises en matière de production et de consommation d'énergie... pour la France dans les trois décennies à venir.