L’avenir de l’automobile

Publié le 12.03.2020
Lycée
Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable

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Guillaume Devauchelle

Guillaume Devauchelle

Vice-président « Innovation et développement scientifique » de l’équipementier international Valeo
"La voiture autonome, roulant sans conducteur, alimente tous les débats sur les véhicules du futur. En fait, le profond bouleversement de la mobilité est déjà en cours, avec une combinaison de multiples technologies. L’avenir se construit sous nos yeux."

Le véhicule du futur se construit jour après jour

La mobilité a connu une révolution au début du XXe siècle, quand elle est passé en 15 ans de la traction hippomobile à l’automobile. Un siècle plus tard, un bond encore plus important se produit devant nous.

A l’heure où la population mondiale se concentre de plus en plus dans les villes, la mobilité fait face à trois immenses défis. Elle doit être plus propre, plus sûre et plus connectée. Résultat, l’industrie automobile doit embrasser, partout dans le monde, trois bouleversements : les motorisations doivent être électrifiées pour émettre moins de CO2 ; les aides à la conduite se multiplient pour rendre les automobiles plus autonomes et plus sûres ; les solutions digitales assurent de nouveaux services et de nouveaux modes de déplacements.

Cette transformation de l’automobile a déjà commencé, sans que l’on en ait forcément conscience. L’avenir de l’automobile s’écrit sous nos yeux, jour après jour. Illustrons ce fait : depuis 2004, il ne s’est jamais écoulé plus de deux ans sans que notre groupe n’ait commercialisé des nouveautés sans précédent dans le seul domaine de l’assistance à la conduite. Cela a débuté par le premier dispositif d’alerte de changement de file en allant jusqu’au premier système de traitement d’images permettant à un conducteur de voir à travers sa remorque ou sa caravane, comme si elle était devenue invisible, sans oublier le premier système de parking entièrement automatique.

 

Des révolutions imbriquées les unes dans les autres

Trois révolutions distinctes transforment donc l’automobile. Mais en réalité, les technologies se combinent, se complètent, s’imbriquent même les unes aux autres pour produire une innovation décisive et cohérente. Passons en revue quelques exemples concrets pour mieux comprendre.

L’essor de la voiture autonome ne repose pas uniquement sur le développement de systèmes d’aide à la conduite, si avancés et intelligents soient-ils. Il est aussi le fruit de sa motorisation électrique, puisque celle-ci apporte une très grande simplicité technique. Avec ce type de motorisation, il n’y a plus, par exemple, de boîte de vitesses. L'électrification va au-delà de la seule chaîne de traction. Dès lors que l’on fait appel aux batteries pour la motorisation, il faut se préoccuper de leur température de fonctionnement pour assurer une autonomie maximale et pour préserver leur durée de vie. Il faut tout autant se préoccuper du confort à bord du véhicule. L’enjeu est de taille, car il s’agit, ni plus ni moins, de trouver des solutions technologiques permettant d’apporter ou air réfrigéré alors même qu’il n’y a plus de moteur thermique à bord du véhicule. Voilà le signe que la révolution de l’électrification entraîne des transformations dans des activités que l’on ne soupçonnerait pas a priori.

 

Une grande diversité plutôt qu’un standard mondial

Avec l’avènement de la voiture autonome, c’est la vie à bord qui se trouve repensée. Grâce à des biocapteurs et caméras infrarouges qui évaluent le ressenti thermique de chaque passager, nous avons ainsi développé un système permettant d’offrir une bulle de confort thermique adaptée à chacun. Le dispositif prend en compte la fréquence cardiaque, la morphologie et les vêtements portés par les personnes à bord. L’ambiance dans l’habitacle peut encore s’adapter à l’état de fatigue ou l’état émotionnel. En outre, l’éclairage intérieur diffuse des couleurs accroissant la sensation recherchée : couleurs chaudes pour accentuer l’impression de chaleur et couleurs claires pour la fraîcheur.

Grâce à l’intelligence artificielle, nous avons mis au point de nouvelles technologies permettant à la voiture d’apprendre à connaître les habitudes et les envies de ses usagers. Dans cette logique, la voiture propose, sans commande préalable, des itinéraires personnalisés, tenant compte de l’agenda et des habitudes du conducteur. Elle programme des playlists adaptées aux goûts de chacun. Elle reproduit le style de conduite de l’automobiliste. Le comportement de la voiture autonome ne sera pas le même à Paris, Londres ou Stuttgart, et encore moins à Shanghai ou Mumbai. En fait, il s’adaptera aux usages et coutumes, il n’y aura pas de véhicule autonome mondial uniforme.

 

Les économies d’énergie

La révolution de l’automobile pose aussi la question des nécessaires économies d’énergie. Très probablement, on aura une combinaison des différentes énergies possibles : essence, électrique, , gaz et toutes les formes d’hybridation. Là aussi, on ira vers une diversité. Si vous habitez à la Réunion, il peut être astucieux de rouler à l’éthanol tiré des résidus de canne à sucre. Ce ne sera pas forcément une bonne idée en France métropolitaine.

La conduite plus fluide qu’autorise la voiture autonome génère des économies en réduisant les embouteillages. Un seul exemple : si toutes les voitures étaient connectées, et en liaison avec les feux de circulation, elles redémarreraient toutes au même moment au passage du vert, comme si elles formaient un train.

Et n’oublions pas les bénéfices induits. Savez-vous qu’un des objets qui consomme le plus est … le rétroviseur central ? Parce qu’il oblige à avoir une lunette arrière de forme plate. Installer une caméra pour voir l’environnement arrière du véhicule permettra d’avoir une carrosserie plus aérodynamique qui va diminuer très notablement la consommation.

 

Bernard Julien

Bernard Jullien

Economiste et Maître de conférences à l'Université de Bordeaux
"L’avenir de l’automobile est un des défis majeurs de la transition énergétique au niveau mondial. Les constructeurs asiatiques, américains et européens s’affrontent dans un environnement façonné en partie par les États et les institutions."

L’avenir des marchés automobiles mondiaux

Toute l’histoire de l’automobile est marquée par les relations complexes entre les constructeurs, en concurrence sur les marchés mondiaux, et les puissances publiques qui édictent des normes et des règles environnementales et fiscales sur les voitures et les carburants. Cette « connivence » dictée par les réalités s’est accentuée avec l’approfondissement de l’action internationale contre le . Étant à l’origine de près de 20 % des émissions de CO2, le transport routier est un secteur très sensible où les pouvoirs publics interviennent beaucoup.

 

Un paysage automobile mondial contrasté

En Chine et en Europe, un cap « anti-thermique » a clairement été fixé. Dès 2015-2016, l’État chinois a fait le choix du véhicule électrique avec batterie, plutôt que l’hybride rechargeable. Il a fixé des objectifs ambitieux de ventes annuelles avec des quotas croissants pour les « new energy vehicles » : 10 % pour 2019, 12 % pour 2020, 20 % pour 2025. Le poids de l’État et l’effet de masse du marché chinois rendent ces objectifs crédibles. Le deux-roues électrique bénéficie du même soutien.

L’Europe a réagi avec un peu de retard mais dans le même sens. L’objectif de réduction des émissions de CO2 des voitures de tourisme de 37,5 % d’ici 2030 fait qu’on estime qu’un tiers des véhicules neufs devraient être électriques à cet horizon. Les députés français ont voté pour l’interdiction à la vente des véhicules à moteur thermique d’ici 2040.

Aux États-Unis, l’évolution est plutôt inverse depuis l’arrivée à la présidence de Donald Trump. Le peu d’exigences imposé par l’État fédéral aux constructeurs sous Barack Obama a été remis en cause par le nouveau gouvernement. Depuis l’exploitation du pétrole de schiste, le sentiment a pu s’installer qu’il n’y a pas de problème de disponibilité de ressources pour les carburants. Mais cette approche de l’État fédéral doit être tempérée car des normes plus fermes peuvent être édictées au niveau des États, comme en Californie. Cette montée en puissance des pouvoir publics locaux, régions ou villes, est d’ailleurs constatée ailleurs dans le monde.

 

Un standard électrique devrait s’imposer

Un « gap » semble se creuser entre la vision américaine de la mobilité et celle qui se développe un peu partout dans le monde. Ce n’est pas nouveau. Cela va être un souci pour les constructeurs automobiles. Mais, compte tenu des évolutions, l’hypothèse prévaut qu’un standard électrique est en voie de s’imposer à la toute fin de la prochaine décennie.

Le Japon conforte cette prévision. Très influencé par la politique de Toyota, il a longtemps misé sur l’hybride et sa substitution progressive par l’hydrogène. Mais vu le poids des orientations « tout électrique » en Asie et en Europe, Toyota a revu sa stratégie en assurant un fort engagement dans la recherche sur la batterie elle-même. Cette idée que si le standard doit être électrique, les constructeurs doivent être présents sur le génération suivante de batteries, s’est imposée peu à peu, chez Toyota, chez Volkswagen et d ‘autres. Il va y avoir un déplacement de la concurrence mondiale entre constructeurs vers cette question de la maîtrise des cellules de batterie.

Aujourd’hui, on a l’impression que toutes les batteries viennent d’Asie, mais ce ne sera pas forcément le cas dans dix ans. D’autant qu’après le lithium-ion, il y a une active recherche européenne, notamment française, et on peut espérer que la dépendance à l’égard des industries chinoise, coréenne ou japonaise, diminue.

 

Le tout électrique va-t-il écarter les autres modèles automobiles ?

Pour l’hydrogène, le problème est qu’aujourd’hui l’essentiel de ce n’est pas « propre ». Faut-il développer la avant la production d’hydrogène décarbonée ? Faut-il engager en même temps la mise en place coûteuse de réseaux de distribution d’hydrogène et de réseaux de charge électrique ? Dans un contexte d’urgence climatique, les investisseurs privés et publics auront du mal à courir tous les lièvres à la fois.

Les recherches sur la « petite voiture thermique », très peu consommatrice, ne sont pas perdues. Toute l’évolution des métropoles du monde va dans le sens d’une réduction de l’emprise au sol et du poids des véhicules. La pression sera forte pour que les constructeurs développent autre chose que des engins électriques de 2 tonnes. Il faut arrêter la course à l’armement, ce sera vrai partout.

Mais l’automobile est une industrie de volume, elle a besoin d’un standard. A un moment donné, il faut que la messe soit dite. J’étais hésitant il y a 4 ou 5 ans. Maintenant que la Chine a dégainé son plan d’électrification massive, et que l’Europe a suivi, il va être difficile de maintenir le moteur thermique.