Points de vue
L'accès à l'énergie des plus pauvres

Thomas ThivillonDirecteur des « Programmes Énergie » d'« Entrepreneurs du Monde », en charge des aspects marketing, microfinance et finance carbone."Des équipements énergétiques fiables pour les plus pauvres du monde"
Doter les populations pauvres d’équipements performants en matière d’éclairage, de chauffage et de cuisson des aliments est un enjeu non seulement de progrès économique, mais aussi de santé publique. Quatre millions de personnes meurent dans le monde chaque année à cause des émissions toxiques de foyers et de lampes inadaptés. Thomas Thivillon explique la formule de « microfranchise sociale » mise au point par l’ONG « Entrepreneurs du Monde ».
Créé en 1998, « Entrepreneurs du Monde » s’est au départ spécialisé dans les programmes de microfinance, en direction des populations très pauvres des pays émergents. Nous parlons ici de prêts modestes – d’une moyenne de 150 à 180 euros – et de micro-services financiers (épargne, assurance) qui permettent à des marchandes, des couturières, des coiffeurs, des cultivatrices, de créer et de faire vivre une petite activité. Un accompagnement socio-économique sur-mesure permet de maximiser l’impact sur les conditions de vie des familles.
En conduisant ces actions, nous avons fait un premier constat : les familles pauvres consacrent une part importante –quelquefois un quart – de leurs maigres revenus aux dépenses énergétiques, principalement en combustibles (bois ou charbon) pour la cuisson des aliments et le chauffage, et aussi en kérosène pour s’éclairer. Dans les campagnes, cela se calcule en temps perdu pour la collecte du bois, du temps qui ne peut être utilisé pour d’autres activités rémunératrices.
Et puis nous avons fait un autre constat : au-delà du coût financier, il y a un coût sanitaire et social considérable. Avec des foyers inadaptés et des lampes à kérosène, les enfants se brûlent, les risques d’incendie sont élevés et surtout les émissions de monoxyde de carboneLe monoxyde de carbone est l'un des oxydes du carbone, de formule CO... et de particules fines représentent un danger pour la santé. Selon un récent rapport commandé par l’OMS, la pollution de l’air domestique provoque chaque année 4 millions de décès dans le monde, plus que le sida ou la tuberculose.
Nous avons alors choisi d’utiliser nos compétences pour donner accès à des équipements plus adaptés : des foyers améliorés qui consomment moins de bois, des réchauds au gaz de pétrole liquéfié (gpl)Le GPL est un mélange d'hydrocarbures légers issus pour partie du raffinage des bruts pétroliers (environ 40 %)... ou au propane, des lampes qui se rechargent à la lumière du soleil et permettent ou outre de recharger des téléphones portables.
Très vite, nous avons éprouvé la nécessité de mettre en place une filière économique efficace pour en assurer la promotion. Nous n’avons en effet pas retenu l’idée de dons : les objets distribués gratuitement lors de campagnes humanitaires ne sont en grande majorité ni entretenus ni remplacés lorsqu’ils arrivent en fin de vie, faute justement d’une filière organisée. Nous avons choisi une approche entrepreneuriale, à but non lucratif mais où les revenus couvrent les coûts, avec un objectif social.
Nous avons commencé par sélectionner soigneusement les fournisseurs et les équipements, pour qu’ils respectent des critères d’efficacité énergétiqueEn économie, l'efficacité énergétique désigne les efforts déployés pour réduire la consommation d'énergie d'un système... et de limites d’émissions, et nous les testons auprès de familles.
Puis nous avons mis en place des systèmes de distribution au plus près des utilisateurs, en recrutant des entrepreneurs issus des communautés, qui sont déjà commerçants. Ils prennent un engagement de qualité et tirent un revenu de la promotion et de la vente des produits. Cet intéressement est nécessaire pour assurer la motivation et l’engagement à long terme de ces diffuseurs.
Enfin, nous avons adopté un modèle de « microfranchises » sociales pour mettre en avant des « enseignes » avec des marques très identifiables et donc attractives : Nafa Naana au Burkina Faso, Palmis Enèji en Haïti, Mivo au Togo, et Pteah Baitong au Cambodge. Elles jouent le rôle de franchiseurs et nos distributeurs locaux sont franchisés, selon la formule classique. C’est une filière solide et pérenne qui est ainsi en place.
Thomas Thivillon est depuis juin 2010 directeur des « Programmes Énergie » d' « Entrepreneurs du Monde », en charge des aspects marketing, microfinance et finance carbone. Diplômé de HEC Paris et de la London School of Economics, il réalise régulièrement des missions sur le terrain en Asie, en Afrique de l’Ouest et en Haïti.