L'Europe de l'énergie

Actualisé le 22.04.2022
Lycée
Histoire, géographie et géopolitique

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Patrice Geoffron

Docteur en économie industrielle, Professeur à l’Université Paris-Dauphine
"Première région du monde à entrer dans l’ère du carbone au XIXe siècle, l’Europe affiche l’ambition d’être la première à en sortir."

Les pays européens ont placé l’énergie au premier rang de leurs priorités dès le début de la construction communautaire. Dans ce prolongement, l’Union européenne (UE) poursuit, depuis la fin des années 2000, l’objectif de prendre le leadership de la mondiale en réduisant son recours aux hydrocarbures et ses émissions de gaz à en quelques décenniesLa crise sanitaire de 2020 étant prolongée d’une crise géopolitique et énergétique en 2022, la capacité de l’Europe à maintenir son cap dans des temps incertains est sous fortes tensions. Patrice Geoffron, professeur à l’université Paris-Dauphine/PSL, analyse l’environnement économique mondial de cette stratégie.

 

Première région du monde à entrer dans l'ère du carbone au 19e siècle, l'Europe affiche l'ambition d'être la première à en sortir. Cette détermination a commencé à se structurer à la fin des années 2000 et s’est notamment traduite par un fort engagement des Européens en amont de la COP21 en 2015, débouchant sur l’Accord de Paris. Cela a conduit, en 2019, la Commission européenne à définir un « Green Deal » : l’objectif est d’acheminer l’UE vers la neutralité carbone en 2050, à la fois comme une réponse aux défis environnementaux et comme une nouvelle stratégie de croissance.

Cette ambition a des implications fortes dès cette décennie : à l’horizon 2030 il s’agit de viser une baisse de 55 % des émissions, impliquant de tripler le rythme de de la décennie passée. La Commission européenne a estimé qu’atteindre ces objectifs supposera d’investir, chaque année, de l’ordre de 1000 milliards d’euros dans les technologies décarbonées (renouvelables, , stockage, transports, …).

La crise sanitaire a été un premier test pour le Green Deal. En mai 2020, la Commission a proposé un plan conduisant à lever 750 milliards d’euros sur les marchés prévoyant qu'un minimum de 30 % des fonds soit consacré à des projets liés à la lutte contre le . A la différence de la crise financière des années 2000 qui avait drastiquement réduit les marges de manœuvre dédiées au financement de la transition (provoquant un stop and go dans le soutien aux filières « bas carbone » au sein de nombreux États membres, en particulier dans le sud de l’Europe), l’Europe s’est efforcée de maintenir le cap de la décarbonation en traversant la crise sanitaire.

Et la crise provoquée par le conflit en Ukraine en 2022, a fait poindre une autre menace : celle de la sécurité d’approvisionnement en énergies fossiles, en raison de la nette diminution de leur production « autochtone ». Durant la dernière décennie, l’extraction de pétrole et de gaz dans l’UE a chuté de 40 %, tandis que celle de charbon reculait de 30 %. La conséquence mécanique de cette tendance est que l’UE dépend à 90 % des importations pour couvrir la consommation de pétrole, à 75 % pour le gaz, et à 40 % pour le charbon. Et, pour ces trois sources d’énergie, la Russie est apparue au premier rang des fournisseurs de l’Europe, révélant une menace jusqu’alors latente.

Certaines conséquences de cette crise sont mécaniques : le prix des énergies fossiles acheminées vers l’Europe sera plus élevé car la rupture de confiance avec la Russie met les marchés sous tension (notamment celui du gaz naturel liquéfié) et, surtout, des menaces de pénuries planeront sur le début de la décennie (pour le notamment).

La question cruciale est d’imaginer l’impact de cette rupture sur les ambitions européennes de décarbonation dans cette décennie : dans le court terme, l’impératif de sécurité conduira sans doute à étendre le recours au charbon, pour affronter les prochains hivers. Mais, parallèlement, les solutions de décarbonation gagneront en compétitivité : face à un prix plus élevé pour le gaz et (plausiblement) pour le pétrole, leurs substituts décarbonés seront plus avantageux. Cela concernera aussi bien les renouvelables (éolien, photovoltaïque, gaz verts), que les investissements en efficacité énergétiques (habitat des ménages, tertiaire et industrie), les équipements ne recourant pas à une motorisation thermique (véhicules électriques en tout premier lieu), le stockage de l’électricité (par batterie ou via l’ plus tard).

Et sans doute s’agira-t-il, partout en Europe, d’accepter des efforts de sobriété qui apparaissaient jusqu’alors comme une limitation des libertés, mais que la crise impose.

Docteur en économie industrielle, Patrice Geoffron est professeur à l’Université Paris-Dauphine, dont il a été président intérimaire et vice-président international. ll dirige l’équipe énergie énergie-climat de Dauphine qui anime plusieurs chaires de recherche (Économie du Climat, en particulier) et un Master (Énergie-Finance-Carbone), au cœur d’un réseau dense de partenariats industriels. Il est membre du Cercle des Économistes. Auparavant, il a notamment fait partie de l’équipe d’experts accompagnant la Convention Citoyenne pour le Climat.